45 000 prisonniers en quatre camps
Au cours de leur avancée, les troupes allemandes ont raflé par centaines, sur les routes, tous les "restes" de l’armée française défaite : « tous les soldats ramassés dans les casernes de Nantes et environs furent dirigés sur Châteaubriant, grand lieu d’internement où les pauvres infortunés ne comptaient rester que quelques jours et être libérés » dit Alfred Gernoux. La ville de Châteaubriant a été choisie parce qu’elle est un nœud ferroviaire important, tout en étant éloignée des grandes villes.
Les soldats français arrivent à pied « harassés, loqueteux, tristes, abattus, comme soumis », encadrés de quelques hommes munis de revolvers et aboyant des ordres, raconte Alfred Gernoux. Les premiers sont parqués dans le champ de Courses de Choisel, au nord de la ville. Ils n’ont rien à manger. Les gens du quartier récoltent du pain pour le leur donner. De 8112 habitants que comptait la ville avant la guerre, on passe rapidement à près de 60 000, dont environ 45 000 prisonniers, plus les réfugiés de passage, et tous ceux qui viendront rendre visite aux prisonniers.
Il y aura quatre camps, que les prisonniers devront aménager eux -mêmes :
Le camp « A », au Moulin Roul, sur la route de Châteaubriant-Soudan, est, selon Alfred Gernoux, le « plus pittoresque des camps. Indochinois, Marocains, Africains, Français y étaient mêlés ». On estime qu’il a regroupé un temps, quelque 7000 hommes. Certains viennent de la « Brigade Maillard » qui a combattu en Belgique, sur la Somme et sur la Seine, jouant le rôle d’arrière-garde pour permettre aux troupes françaises de se replier en bon ordre. Les prisonniers logent sous des toiles de tente de l’armée. Certains bricolent des abris avec des branchages coupés dans les arbres de la propriété. On voit quelque temps de superbes chevaux arabes dans les prairies au bord de la Chère. Quelques rares Allemands, logés au manoir du Moulin Roul, se font photographier avec fierté en compagnie des chevaux quasiment sauvages, mais la plupart en ont peur. Les soldats prisonniers s’amusent d’ailleurs à les lâcher dans le bas de la prairie. Le spectacle des chevaux se battant entre eux affole les gardiens ! Les prisonniers, eux, s’efforcent de vivre du mieux qu’ils peuvent dans ce lieu insalubre et inondable. A la suite des fortes chaleurs de juin, une série d’orages entraîne des déluges d’eau. Transformé en marécage, ce camp sera évacué rapidement.
Le camp « B », situé dans les marais de la Courbetière, a dépassé, certains jours, plus de 7000 hommes dont un petit îlot d’Anglais. Les conditions d’hygiène sont précaires. Pour trouver l’eau potable qui manque, des « corvées » se rendent à la fonderie Huard (occasions d’évasions). Plus malsain que celui du Moulin Roul, ce camp est évacué rapidement.
Le camp « S », à la Ville en Bois, au terrain de sports, renferme aussi jusqu’à 7000 hommes dans des « cabanes disjointes, faites de pièces et de morceaux, de vraies cages à lapins ». Par malchance, il pleut souvent au cours de l’automne 1940, « et les toiles de tente, en nombre insuffisant, sont remplacées, si on peut dire, par des couvertures vite trempées qui laissent passer l’eau de pluie, goutte à goutte » raconte Alfred Gernoux. Dans ce camp, comme dans les autres, les détenus sont très malheureux, en particulier les Africains habitués à d’autres climats.
Le camp « C » , le plus important, demeurera jusqu’à la fin de la guerre. Il est situé à « Choisel », à la sortie de Châteaubriant, sur la route de Fercé. Un sol caillouteux, au sommet d’une petite colline. Le propriétaire, René ORAIN, a disposé de 24 heures pour quitter les lieux avec sa famille et transporter ses animaux à La Rousselière, à la sortie de Châteaubriant sur la route de Rougé. (un certain nombre d’animaux mourront en route, étouffés). A cette période de juin il fait si chaud que les prisonniers se couvrent la tête avec du foin. Toute une barge de foin disparaîtra ainsi. Au début, en guise de sanitaires, les prisonniers creusent une tranchée dans le sol. Des baraques en bois seront construites progressivement, au fil des mois, et même une infirmerie et une baraque-chapelle.
Au bout de deux jours, M. et Mme HOGREL et leurs filles, sont priés de déguerpir, en 90 minutes : voisine du camp de Choisel, leur maison abritera, un temps, les gestionnaires du camp et les guichets de contrôle des soldats prisonniers.
Des prisonniers de guerre, en trop grand nombre sans doute, ne peuvent être parqués dans les camps de Châteaubriant. Ils gagnent alors, à pieds, la commune de Treffieux, où, sur le coup de midi, ils sont parqués, le temps d’un bref casse-croûte, une fois dans un pré à droite en entrant dans le bourg, une autre fois dans « le pré Dauffy », derrière la scierie Marchand (actuellement garage Réthoré), au bord du Don, juste après le pont, à droite en quittant Treffieux vers Nozay. Là des camions les embarquent. Direction inconnue. L’Allemagne peut-être ?
Les officiers sont logés à Châteaubriant, à l’école St Joseph ou au château (le couchage du côté du Tribunal, la cuisine dans les anciennes écuries des gendarmes, qui se trouvaient alors sur la façade ouest de la courtine du château médiéval). Les officiers ne manquent pas d’argent, mais certains d’entre eux ont perdu tous leurs effets, au point que Mme CASSIN, la concierge, doit assurer les courses (brosses à dents, vin, etc). « Il y avait au château, habitant la chapelle, la famille V. avec ses poules, ses lapins et le jardin potager à l’emplacement de la cour gravillonnée actuelle. Les officiers ont pris la barrique de piquette du père V » raconte Georgette CASSIN. Rapidement la famille CASSIN, 15 jours après l’arrivée des Allemands, est priée de déménager, en deux heures, pour que sa maison serve de poste de garde pour les Occupants. « ils avaient un gros chien. Un jour qu’il s’était caché dans les arbustes le long de la maison, il a été blessé d’un coup de baïonnette par la sentinelle qui croyait avoir affaire à un évadé. Par la suite le chien a changé de camp : il s’est mis sous la protection des officiers français prisonniers ! » dit Georgette CASSIN.
Quelques officiers réussiront à s’échapper en passant par la maison du Sous-Préfet, avec des vêtements civils fournis, notamment, par Madame ROUSSEL, institutrice. Les autres sont rapidement embarqués vers Laval puis Nuremberg, à la fin de l’été 1940. Parmi ces officiers, l’amiral de Penfentenyo, d’une vieille famille bretonne, chargé d’organiser la défense de Lorient, est arrêté et amené à Châteaubriant.Chaque jour il est convoqué à la Kommandantur. Il traverse la ville encadré de deux soldats allemands, digne mais triste dans son uniforme d’amiral. « Mes parents décident de lui faire porter un témoignage de sympathie. Mon jeune frère, Yves-Marie, âgé de 5 ans, est chargé de lui porter une fleur quand il passera entre ses deux gardiens. Ce qui fut fait. Etonnement de l’Amiral, et des deux soldats décontenancés par ce geste. L’Amiral prit la fleur, je ne me souviens pas s’il embrassa l’enfant. C’était dans les jours qui suivirent l’arrivée des Allemands. La Résistance commençait ... » raconte Emile LETERTRE.
La nourriture des réfugiés et des prisonniers est un problème quotidien. Des cheminots de la gare de Soudan s’avisent que des trains entiers de munitions mais aussi de vivres, ont été abandonnés par les Anglais, notamment en gare de Châteaubriant et dans la forêt du Gâvre. « Une expédition est aussitôt organisée par la sous-préfecture et la mairie du Gâvre, qui empruntent la camionnette du boulanger. En plusieurs voyages ils rapportent 100 bidons de 20 kg d’Astra (margarine), un camion de haricots rouges et des cigarettes anglaises » raconte le Sous-Préfet Lecornu qui bénéficiera aussi « de vingt bidons de vingt gallons d’essence d’avion ». Les denrées sont cachées dans les dépendances du château, derrière des bottes de paille, dans le grenier de Monsieur CASSIN. « Il y avait du lait concentré et du café. Quand ma mère en a demandé un peu, il lui a été répondu, par la femme du Sous-Préfet, que le "café national" était bien meilleur pour la santé » dit encore Georgette Cassin.