Ernest Bréant : démission
Le gouvernement a demandé l’élaboration d’un registre pour la fabrication des cartes d’alimentation : à Châteaubriant, dès le 11 septembre 1939, six grands livres à couverture noire, plus de 2000 pages, portent 6184 noms d’hommes et de femmes de plus de 15 ans (et environ 440 personnes ne portant pas de numéro). On y trouve encore beaucoup de femmes en coiffe. Les réfugiés et évacués sont indiqués. Les juifs sont marqués d’un tampon à l’encre rouge : les quatre lettres du mot JUIF ont 15 mm de hauteur sur 35 mm de largeur. (voir page D 2)
Le maire de Châteaubriant, Ernest Bréant, tient longtemps tête aux Allemands, en refusant en particulier les réquisitions. Il est contraint de démissionner en septembre 1941. M. Quinquette, directeur de l’hebdomadaire « Le Courrier de Châteaubriant », ardent défenseur de la « Révolution Nationale » du Maréchal Pétain, et collaborateur notoire, ne réussit pas à obtenir le poste. Maître Noël, avoué, ancien combattant, est nommé maire à sa place, par le régime de Vichy. Mais, malade, il ne sert guère que de prête-nom : des adjoints, collaborateurs notoires, détiennent le pouvoir municipal.
Si la ville garde une apparence de vie normale, la colère et l’esprit de Résistance vivent au cœur des Castelbriantais. Si certains sont Pétainistes, par respect pour le vieux vainqueur de Verdun, il ne s’en trouve guère à être pro-allemands. « Ce n’est pas tellement de la guerre que nous avons souffert, dit Mme CAURET, mais de l’Occupation »
Les Feldgendarmes (ceux que les Castelbriantais appellent "colliers de chien" à cause d’une pièce de leur uniforme) sentent cette opposition larvée.
Ils se vengent par des mesures vexatoires : « 20 francs pour n’avoir pas mis pied à terre à tel carrefour. Amende de 20 francs pour insuffisance de disques blancs et rouges sur les vélos ou carrioles. 20 francs pour rouler à bécane deux de front, etc » raconte A. Gernoux. Certains soirs la ville est « punie » : interdiction de sortir. Alors, par défi, les Castelbriantais décident de ne pas sortir pendant deux ou trois soirs de suite, et se mettent à la fenêtre pour « rire » des passants. « Les Allemands sont les premiers empoisonnés et ont hâte que la punition soit levée » (Alfred Gernoux).
La résistance morale se traduit aussi par des chansonnettes « Douce France, cher pays de mon enfance ... », « Ca sent si bon la France ... » ou des chansons à l’air connu (comme Lily Marlène qu’affectionnent les Allemands) mais aux paroles détournées.
Plus de fratricides luttes Plus de larmes, plus de sang Il s’élève un chant de flûte Calme et doux le soir descend ...
(notons d’ailleurs que la chanson Lily Marlène est plutôt un chant antimilitariste,
dont l’auteur fut exécuté par les Nazis).
Les enfants de Châteaubriant recopient avec ardeur le répertoire de chansons anti-allemandes ou anti-prussiennes des Anciens de la guerre de 14-18. Ils les chantonnent dans les rues, parfois à la barbe des Allemands qui, pour la plupart, ne connaissent pas le français. Ainsi, déjà, s’affirme l’opposition à l’Occupation.
Le 30 mai 1943, Maurice Druon et Joseph Kessel créent « le chant des Partisans » « Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades ! Ohé les tueurs, à la balle et au couteau tuez vite (...) Sifflez compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute ». Sifflé, fredonné, le chant nouveau, inconnu des Allemands, se répand sous le manteau, tout comme le livre « Le silence de la Mer » signé de Vercors en février 1942. En 1944 Louis Aragon écrit la déchirante « Ballade de celui qui chantait dans les supplices » :
« Et si c’était à refaire Je referais ce chemin Sous vos coups chargés de fers Que chantent les lendemains ... »
Vers la fin de la guerre une famille ingénieuse transformera un « jeu de l’oie » en « jeu de la libération », les pions sont munis de drapeaux français, anglais, américains, canadiens, russes, etc. Le premier qui arrive à Berlin a gagné la partie.
A Châteaubriant, même les plus anciens accomplissent des gestes fous, comme ces Anciens Combattants, Joseph HERVE, Etienne MARTIN, Louis GANACHE, Marcel LETERTRE-père et M. LASSOUDIERE, qui placent un drapeau tricolore au Monument aux Morts, le 10 novembre 1940. [voir document D10]
Ce jour-là ils cassent le petit doigt du Poilu de pierre. Leur geste fait plaisir aux Castelbriantais, et stupéfie les Nazis . « Ils ont osé » disent-ils .
Oui, ils ont osé. « Le signal était lancé, le Pays de Châteaubriant était entré en Résistance. Pas seulement les cinq, mais toute la région » dit Emile Letertre