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Livre - Jean Gilois - souvenirs d’un gosse

 

Jean Gilois
Souvenirs d’un gosse

« J’avais onze ans cet hiver-là.

J’ai certainement vu l’affiche du Gauleiter SAUCKEL, (voir page 566) mais je ne puis honnêtement dire que je m’en souviens alors que je me souviens très nettement avoir vu les longues colonnes de réfugiés, ainsi que la débâcle des armées, et les cohortes des prisonniers de guerre du Moulin Roul deux ans auparavant, les camions des Suppliciés de la Sablière en octobre 1941, et même quelques années plus tôt les réfugiés de la Guerre d’Espagne regroupés derrière la mairie.

Mais j’ai une bonne mémoire de gosse des images de ce temps-là, donnant une certaine idée de la façon dont on était informé.

Il me faut d’abord recenser mes sources d’information d’alors, dont la plus grande partie étaient celles de la plupart des Castelbriantais de ce temps-là. Le « tube » obligatoire des années Vichystes était le célèbre « Maréchal, nous voilà ! » scandé par tous les écoliers de France. Point de télévision bien sûr, seulement les actualités cinématographiques, bien entendu contrôlées par les Allemands et à la gloire du 3e Reich, de son Führer et du Maréchal ; mais je ne suis pas allé au cinéma. Il y avait aussi la radio, mais nous étions de ceux qui n’avions pas de poste de TSF.

D 35
Lettre d’un prisonnier

Ma mère remplaçant mon père, prisonnier, aux travaux de maraîchage, les jours d’hiver, après l’école, j’écoutais la radio (Radio Paris, contrôlée par les Allemands et Vichy, mais parfois aussi la BBC) sur le poste de notre voisin du dessus, le Breton phtisique, communiste, Yves QUELLEC, qui connaîtra avant de mourir le débarquement mais pas la Libération.

Reste la presse : celle qui paraissait, quotidienne ou hebdomadaire, était soumise à un strict contrôle de Vichy et de l’Occupant : le « Courrier de Châteaubriant » (saisi à la Libération) était, lui, outrancièrement « collaborateur ».

Il y avait aussi l’information murale dont l’affiche de SAUCKEL est un exemple : cette information relevait aussi du domaine de la propagande de GOEBBELS et de ses homologues Vichystes auprès desquels nos fameux « communicateurs » modernes sont de pâles amateurs.

On voyait ainsi que les diktats de la Kommandantur, un portrait du Maréchal à chaque coin de rue ; et à cette période surtout, où les troupes hitlériennes subissaient d’importants revers en Russie et notamment à Leningrad, les murs fleurissaient d’affiches représentant des soldats nazis martiaux écrasant de leurs bottes l’empire soviétique, ou présentés en champions lumineux de l’Europe Nouvelle, ou bien encore, en nouveaux Saint-Michel terrassant le monstre « terroriste » hideux, à la fois communiste, gaulliste, juif et franc-maçon.

J’avais à vrai dire une source d’information.

Les légumes, et le lait des deux vaches familiales, étaient vendus dans la même pièce où nous prenions le repas du soir, pièce vite devenue « le dernier salon où l’on cause ». Il y avait bien le couvre-feu mais la plupart des clients étaient des voisins et du moment où les règles de la « défense passive » (pas de lumière, fenêtres calfeutrées et barbouillées de bleu) étaient respectées, le risque n’était pas trop grand que la police allemande cherche à entrer.

Les conversations n’étaient pas d’importance capitale, de simples politesses, ou d’inévitables médisances, et avaient souvent trait aussi aux moyens d’obtenir quelques produits sans tickets (il s’agissait le plus souvent d’ersatz alimentaire), ou de fabriquer des pâtes, ou du savon avec de la soude caustique, ou bien encore d’informations concernant par exemple une distribution de pétrole chez Usureau, ou de sciure de chauffage ... (est-ce cette année-là que fût acheté mon dictionnaire en échange d’argent comptant bien sûr, mais en plus d’un morceau de lard exigé par le libraire ?).

On vilipendait certains trafiquants et certains commerçants qui se bâtissaient une fortune considérable en vendant aux riches, au marché noir.

Mais quelquefois les hommes qui avaient dîné et que leur "ménagère" avaient envoyés au lait, discutaient politique, haussaient le ton. L’Ancien Combattant de Verdun, maréchaliste et anglophobe, n’était pas sur la même longueur d’onde que certains de ses interlocuteurs communisants ou gaullisants, sans compter ceux qui affirmaient que Pétain et De Gaulle étaient d’accord, voire que Laval « couillonnait » Hitler, et le clan principal qui était attentiste.

Il y avait en dimension restreinte un panaché de ce qu’était probablement, compte tenu de ses informations, l’opinion publique locale du monsieur-tout-le-monde de ce temps-là.

Evidemment, je n’étais pas d’âge à savoir ce qui se disait dans les milieux de la Résistance ou de la presse clandestine. Mais je puis affirmer que si nos clients du quartier comprenaient alors des pétainistes, et surtout un grand nombre d’attentistes, je n’y entendis jamais de propos pro-allemands.

C’est là que j’appris la disparition de certains de nos jeunes voisins dont plusieurs avaient été avertis par certains gendarmes (1) que leur ordre de départ était arrivé et qu’il leur serait porté officiellement quelques heures plus tard. Un peu plus d’un an après, au moment des bombardements de Châteaubriant, replié chez une parente à proximité de la forêt de Juigné, j’ai eu une idée plus précise de la destination de ces réfractaires disparus mystérieusement. Mais entre-temps, les arrestations massives et les exécutions sommaires étaient passées par là !

Et la Libération n’allait pas tarder bientôt à nous découvrir des horreurs que mon âge ignorait. Et cela n’est pas près de me sortir de la mémoire. »

JEAN GILOIS

(1) Par exemple l’adjudant JARNO

 Quelques souvenirs de Pierre Jarno

Pierre Jarno avait 15 ans en 1940. « A cette époque de mon adolescence, écrit-il, le mot magique de "Liberté" était banni. Cette liberté a été reconquise au prix de trop de sang versé, de trop de larmes, il appartient aux jeunes générations de ne pas l’oublier. Il faut se souvenir que toute Nation qui oublie son passé risque à plus ou moins brève échéance de disparaître. Il s’avère aussi utile de rappeler cette maxime de Saint-Exupéry : "Les disparus, si on les honore, sont plus puissants que les vivants" ».

Enfant de troupe à 13 ans, Pierre Jarno est jugé indésirable en zone libre. Après une tentative infructueuse pour rejoindre les Forces Françaises Libres, il revient à Châteaubriant et c’est avec ardeur qu’il seconde son père, gendarme à Châteaubriant lorsque celui-ci avertit les jeunes gens requis pour le STO et les Résistants des dangers de se trouver à tel ou tel endroit, et de l’imminence d’une rafle.

« Les Letertre ont été arrêtés la seule fois où mon père n’a pu les alerter. En revanche, par chance, j’ai pu prévenir à temps MM. Besnard, père et fils, de ne pas rejoindre leur maison qui était cernée ».

Après la libération de Châteaubriant, Pierre Jarno a pu combattre dans la poche de St Nazaire.


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Texte du livre "Telles furent nos jeunes annees", telechargeable ici : http://www.journal-la-mee.fr/IMG/pdf/LivreMee.pdf

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