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Date de mise en ligne : lundi 24 octobre 2005
Désillusions
En 1791, l’année commence mal : le 31 décembre 1790 sont arrivés 8 exemplaires du décret du 27 novembre 1790 concernant la Constitution Civile du Clergé : ils décidaient que tous les curés et évêques en exercice devaient, dans les 8 jours, prêter serment à la Constitution Civile, sous peine d’être destitués. Dans la ville, très conditionnée par la pratique religieuse, on ne comprend plus. Même le Doyen Bédard, curé de St Jean de Béré, lui qui, jusque là, soutenait « l’heureuse Révolution », ne comprenait plus.
La cérémonie de prestation de serment fut fixée au 19 janvier 1791, à l’église de Béré, en présence du Conseil
Général (1) de la Commune et des paroissiens. Il s’agissait seulement de dire : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m’est confiée, d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et acceptée par le roi ». Mais 4 assesseurs du Juge de Paix refusèrent d’assister à la cérémonie et 3 officiers municipaux démissionnèrent. Il fallut donc prévoir leur remplacement.
10 électeurs sur 410
23 janvier 1791 : les 410 citoyens actifs de la ville furent donc convoqués à 9 h du matin pour procéder à cette
élection. A midi, seuls 10 d’entre eux s’étaient présentés. L’élection fut remise « aux deux heures de relevée » et les officiers municipaux en exercice attendirent jusqu’à 5 heures du soir « sans qu’il se soit trouvé autres citoyens actifs que les soussignés » dit le Compte-rendu officiel. Avec si peu de votants, il n’était point possible de faire l’élection nécessaire. Et tout le monde accusa « la publication du décret de 27 novembre dernier (...) qui a énervé le zèle de tous les citoyens » d’autant plus que « les démarches clandestines de quelques individus ont eu le talent de timorer les consciences ». L’élection fut reportée sine die.
Les affiches arrachées
La contestation se manifesta par des gestes de mauvaise humeur. Par exemple, le 6 février 1791, on apprit que « des gens se sont permis de désafficher les décrets et autres affiches publiques presque aussitôt qu’elles ont été mises en place ». Le Conseil Général décréta que « Tous ceux qui se permettent de pareils abus seront condamnés à trois livres d’amende et, en cas de récidive, à 24 heures de prison ».
Il rappela en outre aux mères de famille, et à tous ceux qui ont la charge de s’occuper d’enfants, qu’il faut leur défendre expressément de détacher ces affiches.
Le bal Bancelin
C’est dans cette atmosphère délétère que se produisit l’incident appelé « Le Bal Bancelin » (2) La Maison Bancelin se situait derrière la Maison Guérin qui servait d’Hôtel de Ville et la municipalité avait droit de passage sur le jardin des Bancelin pour rejoindre la place Neuve (= Place de la Motte). Comme il y avait double entrée possible vers l’Hôtel de Ville, par la place St Nicolas et par la place Neuve, des sentinelles avaient été placées en faction des deux côtés et avaient ordre de ne laisser passer que les personnes arborant la cocarde patriotique.
Mais ce soir-là, 3 mars 1791, un certain nombre de nobles et de partisans de la Monarchie, avaient rendez-vous
chez les Bancelin, chacun ayant apporté son plat et son écot. Les « patriotes » (Amis de la Constitution) étaient aux abois, ils craignaient un complot aristocratique. Les convives arrivèrent, au nombre d’une quarantaine, sans trop de mal, mais non sans irritation de voir une sentinelle à la porte du jardin. Le domestique de M. de la Bothelière voulut passer sans cocarde. Il fut stoppé par la sentinelle. Alors M. de la Bothelière qui avait, lui, une cocarde à son chapeau, mit ce chapeau sur la tête du domestique ... qui put alors passer.
Selon l’Abbé Goudé, vers les neuf heures du soir, un officier de la Garde Nationale vint pour, dit-il, inspecter la
sentinelle à qui, à ce moment-là, parlaient M. de la Bothelière et M. de la Porte. « De quel droit dérangez-vous cette sentinelle ? » dit l’Officier de la Garde Nationale en prenant M. de la Porte au collet. M. de la Bothelière s’interposa, mais un autre Garde National sortit deux pistolets. Les deux aristocrates se réfugièrent dans la salle de bal et l’un d’eux fut blessé à la tête et au dos, sans qu’on sache très bien comment.
D’autres Gardes Nationaux accoururent au bruit de la dispute et voulurent forcer la porte de la maison Bancelin. Les personnes à l’intérieur s’en défendirent. Vitres brisées, coups de baïonnette, coups de fusil, sang, tumulte, fuite générale, tocsin. La foule cria « en prison les aristocrates ». Le maire les fit emprisonner, comme le plus sûr moyen de les protéger de la fureur populaire et fit raccompagner les dames chez elles sous bonne escorte pour les garantir de toute insulte. Ouf ! On avait eu chaud !
La version des patriotes est tout autre : les premiers coups de fusil seraient partis de la Maison Bancelin et auraient percé le chapeau de trois gardes-nationaux. Tocsin. Aux Armes. Les patriotes s’apprêtèrent à investir la Maison Bancelin mais trois responsables des Gardes Nationaux s’interposèrent, non sans mal, et ce furent « les pères du peuple » (= le maire et un échevin) qui réussirent à contenir la fureur populaire et à faire emprisonner les aristocrates.
Il y eut procès, chacun reconnut qu’il y avait eu malentendu ... ce qui n’empêcha pas un écrit calomnieux de circuler dans les campagnes, quelques jours plus tard ...
Administration
Il fallait, malgré ces dissensions naissantes, et ces réactions à fleur de peau, continuer à administrer la ville. Le
Conseil Général de La Commune se réunissait très souvent pour lire et enregistrer les décrets venus de Paris, sur tout et n’importe quoi, sur les Sociétés Libres, sur les biens possédés par les Protestants, sur les Troupes de Belgique, sur l’Abbaye de Cluny, sur les tanneries, sur l’organisation de la force publique. C’était l’époque où chaque petite commune, autrefois ignorante des affaires du Royaume, s’intéressait désormais à tout ce qui se passait partout ! La lecture des archives montre le bouillonnement des lois, décrets et arrêts de l’Assemblée Constituante en ce début d’année 1791 en France.
Mais la ville avait des nécessités plus terre à terre. il fallut faire des réparations urgentes à l’horloge de la ville en confiant les travaux « à un homme capable de la rendre régulière ». Quant aux Ateliers de Charité, qui avaient été créés en octobre 1790, ils attiraient les indigents : 97 personnes y travaillaient en ce mois de janvier 1791, et la somme que la ville avait décidé d’affecter aux salaires des ouvriers était épuisée. Le Corps municipal décida cependant de poursuivre les travaux « pour assurer la tranquillité publique ».
L’Hôpital, lui, était dans un état déplorable, « tant par le grand nombre des pauvres qui y vagabondent, que par le refroidissement des aumônes ».
Par ailleurs, le Corps Municipal dut se charger de la collecte de la contribution foncière. La ville et ses faux-bourgs fut alors partagée en 7 sections que le compte-rendu officiel énumère : occasion de retrouver les noms que nous connaissons toujours : La Muloche, la Buffrais, « La Maison Brullée », les Nardais, la Bruère, la Goupillère ...
Il fallut aussi procéder à l’adjudication des boues de la ville et du marché aux bestiaux, ainsi que « du terroir
provenant du currement des Douves, depuis l’Arche du Pont de l’Eperon jusqu’au petit ruisseau de la Vannerie près de la Porte St Michel ».
Et puis il fallut réparer la croix d’argent de la paroisse et fournir à celle-ci des chandelles, des lampes, un bénitier, un registre (sans doute pour l’état-civil), du charbon ... en échange de quoi la ville encaissait le produit des redevances payées par les paroissiens sur les chaises et les bancs.
Un piquet de 50 hommes
19 mars 1791, la ville sentait que l’hiver se terminait et décida de suspendre les Ateliers de Charité parce que « les travaux champêtres vont commencer » et que « la saison devenüe plus douce offre aux personnes les moins laborieuses toutes sortes d’occupations et de ressources ».
Cette décision fut mal comprise des ouvriers des Ateliers de Charité qui, armés de leurs pics et de leurs pelles, se portèrent au château du Prince de Condé et à la demeure du Sieur Jousselin son intendant, pour demander de l’argent et du travail. Pour parvenir à les disperser, il fallut leur promettre de l’ouvrage.
Mais le Conseil Général s’inquiétait : il demanda « de faire venir avec diligence un piquet de 50 hommes de Ligue » et il proposa de les caserner à l’ancienne maison conventuelle des Trinitaires ou à celle des Moines de St Sauveur de Béré. « Une étincelle n’a que trop souvent occasionné un incendie, il était du devoir du Conseil Général de la Commune d’arrêter le mal dans sa naissance et d’opposer la force publique aux insurgés »
Finalement ce « piquet » ne vint pas, parce que les ouvriers acceptèrent de rentrer dans l’ordre « en déclarant qu’ils avaient été trompés par les ennemis du bien public ».
Le Corps municipal, (composé de bourgeois, ne l’oublions pas), plus que de la révolte des ouvriers, se montra
choqué parce qu’ils se sont rendus au domicile du sieur Jousselin. Que « ces hommes égarés » « sachent que,
quelque suspect que puisse être un particulier, il n’est jamais permis de violer son azyle, ni d’attaquer sa personne. Qu’ils sachent que nous avons toujours juré de maintenir et conserver la propriété et d’assurer la liberté individuelle. Qu’ils apprennent enfin que leurs vrais amis sont les véritables partisans de la Constitution et non pas ceux qui en empruntent les dehors et ne désirent qu’un bouleversement total ». Que diable, les élus de Châteaubriant n’étaient pas des révolutionnaires ! Ils se montraient les défenseurs de la propriété !
L’Hôtel de Ville, encore !
Le 31 mars 1791, le Corps municipal revint à son vieux rêve, jamais réalisé : un Hôtel de Ville. C’est que, en faisant les travaux au Chemin St Michel, « les ouvriers ont découvert un mur et plusieurs ouvrages de maçonnerie qui ont fourni une quantité prodigieuse de belles pierres ». On décida alors de faire faire un plan pour un futur Hôtel de Ville, toujours prévu sur la Tour St Jean, « lieu le plus convenable attendu qu’il y aura moins de dépenses à faire pour la construction puisqu’on trouvera des murs très solides sur lesquels il sera très facile de pratiquer des chambres ». La révolte des ouvriers, le 6 juin 1791, en décidera autrement ...
Curés constitutionnels
Le 3 avril 1791, les électeurs du District furent convoquée en l’église paroissiale de St Jean de Béré pour nommer des curés à la place de ceux qui avaient refusé de se conformer au décret du 27 décembre 1790. « Pour la tranquillité publique, il est prudent de mettre en activité la garde nationale et la gendarmerie de cette ville » écrivit le Corps Municipal.
C’est que, dans le District de Châteaubriant, 70 % des curés et 80 % des vicaires avaient refusé de prêter le
serment, et parmi eux tous les prêtres de la ville, comme le doyen Bédard, son vicaire Martin, l’abbé Foucher
directeur du Collège, François Defermon (frère du député Jacques Defermon des Chapellières). Pour les remplacer, on eut bien du mal, les prêtres constitutionnels étant minoritaires dans le District. Il fallut faire appel à un clergé extérieur, comme l’Abbé Turoche venu de Retiers.
Mirabeau
15 avril 1791 : le cahier des délibérations du Conseil Général de la Commune contient un vibrant éloge de Mirabeau, à l’occasion de sa mort prématurée.
Honoré Gabriel Riquetti, Comte de Mirabeau, était un homme d’une nature passionnée et violente et d’une
intelligence extraordinaire. Enlaidi par la petite vérole, il était d’une laideur fascinante qui faisait impression sur ses auditeurs. D’une éloquence agressive, ironique, persuasive, il parlait d’une voix tonnante que personne n’osait interrompre, visant à emporter la conviction par la force des arguments, et souvent par les ressources de la dramatisation. Il avait une position ambiguë, désirant profondément servir la Monarchie tout en défendant ardemment la Révolution. Noble, il fut élu triomphalement comme député du Tiers Etat à Aix puis à Marseille. C’est lui qui lança le 23 juin 1789 la phrase restée célèbre : « Nous sommes ici par la volonté du peuple, nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ». Il mourut le 2 avril 1791, à 42 ans, usé par le travail et les excès.
Le Corps municipal de Châteaubriant lui rendit hommage le 15 avril 1791 comme à « un ami de l’humanité, un zélédéfenseur du peuple, un des plus grands restaurateurs de la liberté ». On vanta sa « mâle et majestueuse éloquence ». On en fit un modèle : « Ne perdons pas courage, que son esprit vive en nous ! qu’il nous anime ! Comme lui, vouons aux factieux, aux ennemis du bien public, la haine la plus implacable. Comme lui, secouons le joug des préjugés. Comme lui, ne respirons que pour la liberté, que pour choisir la constitution ». Les membres du Conseil Général de la Commune décidèrent de porter le deuil pendant 8 jours et invitèrent les bons citoyens à en faire de même. A Paris, l’Assemblée décréta que ses restes seraient déposés à l’église Ste Geneviève, transformée en Panthéon pour la sépulture des Grands Hommes. Mais le 20 novembre 1792, quand la Convention fit ouvrir l’armoire de Fer de Louis XVI, aux Tuileries, on y trouva la correspondance du Roi avec Mirabeau, preuve du double jeu joué par le personnage. La Convention ordonna de retirer les restes de son corps du Panthéon et de les jeter aux égouts ...Triste fin !
Assignats refusés
La grande unanimité patriotique retomba vite : le 19 avril 1791, les paysans, au nombre de 40, sur le marché de
Châteaubriant, refusèrent les « assignats » que les marchands de bestiaux voulaient leur donner en paiement.
L’assignat était une monnaie-papier émise par la Révolution et en principe gagée sur les « biens nationaux » mais elle n’inspirait guère confiance au point que, en décembre 1791, pour payer les ouvriers des Ateliers de Charité, le Corps municipal se résolut à « acheter de l’argent avec les assignats, car on ne peut payer les ouvriers avec des assignats car ces "cartes" (= papiers) ont de grands inconvénients, la crainte de contrefaçon, la disparition de la monnaie et l’agiotage des petits marchands qui font « avarrisse » occasionnent très souvent des soulèvements populaires pour ne pas dire des insurrections ». Les assignats furent retirés de la circulation le 4 juin 1797.
Un beau garçon comme toi
En 1791, tout arrivait devant le Conseil Général de la Commune qui était sollicité à tout propos. Le 22 avril 1791, il reçut par exemple la plainte d’un certain Jean Catel, soldat au Corps Royal, qui se plaignait d’avoir été enrôlé de force par Duhamel, « cy-devant de la Bothelière ». Jean Catel raconta que, « après une rixe survenue entre lui et son épouse » le sieur Duhamel lui avait dit : « Un beau garçon comme toi doit être fait pour servir le roi et non pour nourrir une femme acariâtre et des enfants » et il le contraignit à contracter un engagement en le menaçant de le faire pourir dans un cachot.
Jean Catel se plaint : il estime qu’il a été engagé illégalement, qu’il ne peut partir rejoindre son corps en laissant « dans une affreuse misère, ou à la charge de l’hospital, une femme et des enfants ». Le Corps municipal accepta de prendre sa demande en considération, de la transmettre à l’Assemblée Nationale et de recruter le sieur Catel comme canonnier à Châteaubriant .
Les Amis de la Constitution
« Le Club des Amis de la Constitution » naquit à Châteaubriant le 1er mai 1791. On en trouve mention
régulièrement, à partir de cette date, dans les délibérations de la municipalité. L’acte de création ne manque pas de grandiloquence :
« Quand les détracteurs de nos lois nouvelles ne cessent de se livrer à des déclamations coupables et scandaleuses ; quand des prêtres abusent d’une mission toute divine, profanent le ministère le plus auguste, allarment les consciences, répandent la terreur dans les âmes faibles et égarent les chrétiens trop crédules » (...) ; au moment où certains portent et agitent « les torches de la discorde jusque dans le sein des familles », l’indifférence est un crime !
C’est pourquoi les Amis de la Constitution se proposent de « rallumer le feu du patriotisme, de l’entretenir sur l’autel sacré de la patrie » (...) « d’éclairer surtout les bons habitans des campagnes » (...), « de pratiquer incessamment les vertus publiques et sociales ; de montrer qu’elles sont recommandées dans l’évangile et que le vrai chrétien est essentiellement bon citoyen ».
On voit à quel point le religieux imprégnait les actes de la vie civile et même les propos des révolutionnaires !
Ce Club des Amis de la Constitution se donna un règlement intérieur qui disait par exemple en son article 25 : « Chacun restera assis, gardera le silence ou ne pourra jamais interrompre un opinant, ni le troubler par des signes d’approbation ou d’improbation ».
Ce Club patriotique, qui obtint son affiliation au Club des Jacobins à Paris, se réunit d’abord à l’Hôtel commun tous les dimanches à 8 h du matin et tous les mercredis à 4 h d’après-midi. Puis il s’installa « dans la chambre de M. Baguet sur les halles de la ville, les lundis et vendredis à 5 h de l’après-midi ». Il s’installa sérieusement d’ailleurs, avec un fauteuil pour son Président, des chaises pour les deux secrétaires et des bancs pour les membres, en laissant un espace entre les bancs et les murs pour permettre au public de venir assister à ses séances. C’est ce Club des Amis de la Constitution qui fit supprimer, le 22 juin 1791, toutes les armoiries apparentes sur les murs du château, en demandant qu’elles soient « piquées avec soin ».
Mais le temps passe et tout s’en va, y compris le patriotisme : le 30 septembre 1791 le Club des Amis de la
Constitution décida d’exclure les membres qui n’ont pas assisté aux séances depuis un mois.
Brûlé par la main du bourreau
Le 5 mai 1791, le Corps municipal se réunit en secret pour répondre à « un écrit incendiaire anonyme qui circule en ville et particulièrement dans ses campagnes » et qui incrimine « de la manière la plus odieuse » la municipalité de Châteaubriant, la Garde Nationale et la Gendarmerie. Le « libel diffamatoire » (qui est celui qui raconte, vu du côté des aristocrates, l’épisode appellé « Le Bal Bancelin ») fut jugé si calomnieux qu’on décida d’en faire brûler des exemplaires par la main du Bourreau !
La Tour St Jean est démolie
6 juin 1791, nouvelle révolte populaire. Les ouvriers de l’Atelier de Charité se souviennent qu’il y a trois mois on a envisagé de leur donner du travail : la construction d’un Hôtel de Ville au-dessus de la Porte St Jean. « Tous les manoeuvres et ouvriers de cette paroisse ont été très mémoratifs de la promesse ». Alors comme un seul homme, « ils se sont arrogés le droit de démolir la dite Tour et de travailler à la construction d’un ouvrage utile ». « On voit à quels excès conduit la misère publique » dit le Corps municipal qui interdit aux ouvriers de poursuivre la démolition, « sous peine de prison et de punition corporelle ».
Mais le mal est fait. l’Hôtel de Ville, que l’assemblée municipale appelle de ses voeux depuis 200 ans, ne sera pas construit à la Porte St Jean. Le baron de Châteaubriant s’y est opposé le premier. les ouvriers indigents ont fini la besogne.
A cette occasion la municipalité regretta que Châteaubriant « soit le foyer de cabales et de dissensions » et rappela qu’il y a nécessité à construire cet hôtel de ville car, si cela ne se faisait pas, « cela pourrait dégénérer en une insurrection populaire ».
La fuite du Roi
Jeudi 23 juin 1791 : la Fête-Dieu à Châteaubriant, une procession « à laquelle ont assisté tous les corps et où tout s’est passé dans le plus grand ordre ». A l’issue de cette cérémonie « le maire, les officiers municipaux, les notables de la municipalité de Châteaubriant, les membres du Directoire du District, les juges du Tribunal, les Gardes Nationaux et les Amis de la Constitution » se rendirent à l’Hôtel Commun pour recevoir un paquet. Ce paquet contenait une lettre signée des membres des trois corps administratifs de Nantes qui racontait que « le roi a pris la fuite à 2 heures du matin du 21 juin 1791, que la reine l’avait précédé de quatre heures, accompagnée du Dauphin et de sa fille ».
Branle-bas de combat ! Nantes demandait à Châteaubriant de s’assurer de tous les dépôts d’armes, « en quelques lieux que ce soit », de s’assurer aussi des caisses et recettes « qu’on doit également mettre en sûreté ». « Il faut instruire les municipalités, ranimer les Amis de la Constitution, surveiller avec le plus grand soin les gens suspects et, s’il s’en trouve qui se déclarent ouvertement contre la Patrie, de ne pas manquer de s’assurer de leurs personnes »
L’Assemblée de Châteaubriant décida donc d’envoyer « une lettre circulaire à toutes les municipalités de ce district, pour leur annoncer le funeste événement et les prévenir des moyens qu’elles doivent employer pour prévenir les accidents qui peuvent en résulter ». Elle envoya aussi des lettres aux municipalités de « Rennes, Pouancé, Ercé, Toury » au cas où ...
L’Assemblée de Châteaubriant s’assura rapidement de toutes les caisses . Pour le district, pas de problème car « le trésorier demeure dans l’Hôtel Commun à la porte duquel est placée une sentinelle ». Bon, mais l’Assemblée s’assura en priorité du fonds de caisse de Louis-Joseph de Bourbon-Condé et le fit déposer à l’Hôtel Commun. Elle envoya des émissaires chez le receveur des droits d’enregistrement et du papier timbré, chez le « receveur des fouages ordinaires et vingtièmes », chez le receveur de la capitation, chez le receveur de la « ci-devant ferme des devoirs » et chez le receveur du don patriotique. A chaque fois il s’agissait de vérifier les caisses, de constater les fonds de caisses et de faire défense aux receveurs de se désaisir des deniers de leurs recettes sous aucun prétexte.
L’Assemblée de Châteaubriant fit arrêter les gens suspects : les Duhamel de la Bothelière, Hochedé de la Justais, Lenormand de la Baguais, Luette de la Pilorgerie, ainsi que la Veuve du Chatelier, et un certain nombre de prêtres à Châteaubriant, La Meilleraye, Noyal, Sion, etc.
Ensuite, « tous les membres unanimement et individuellement de la dite assemblée, ont promis sur leur honneur d’être fidèles à la nation et à la loi, et de s’opposer de toutes leurs forces à toutes conspirations, trames ou complots qui parviendraient à leur connaissance (...) consentant, s’ils manquent à cet engagement, à être regardés comme hommes infâmes, indignes de porter les armes et d’être comptés au nombre des citoyens français ».
A la lecture des archives municipales, on sent combien l’instant était grave, combien les partisans de la Révolution resserraient les rangs. Détail significatif : leur serment patriotique changea, ils ne jurèrent plus fidélité « à la nation, à la loi et au Roi » comme hier encore, mais seulement « à la nation et à la loi ».
En revanche, l’assemblée de Châteaubriant s’interdit de descendre au bureau de poste pour visiter les lettres et paquets adressés à des personnes suspectes « car il serait dommage de violer le secret des familles ». Mais, par précaution, elle demanda à ces personnes de décacheter, ouvrir et lire leurs lettres devant le juge du tribunal, le juge de paix, le maire ou les commissaires nommés à cet effet.
Bouclez tout !
24 juin 1791, à 9 h du matin, arriva à Châteaubriant un décret de l’Assemblée Nationale du 21 juin, mobilisant tous les fonctionnaires publics « pour empêcher toute sortie d’effets, armes, munitions, espèces d’or et d’argent, voitures et toutes personnes quelconques ». C’était la fermeture des frontières !
25 juin 1791, l’Assemblée de Châteaubriant fit vérifier l’état des fonds du Directeur des Forges appartenant à
Louis-Joseph de Bourbon-Condé, mais autorisa cependant la poursuite des travaux, « aussi nécessaires pour faire subsister un grand nombre de citoyens, qu’utiles à l’Etat ».
Le même jour, elle fit arrêter, Eluère maire d’Issé, Rodrigue, juge de paix d’Issé, et Rossignol, procureur de la
commune d’Issé, « qui se sont montrés publiquement et ouvertement les énemis de la Constitution ». Toute la région était en ébullition.
L’heureuse nouvelle
Le 26 juin à 8 heures du matin, un courrier extraordinaire dépêché par les administrateurs du département de
Loire-Inférieure, annonça l’heureuse nouvelle du retour du Roi. « Le Roy a été retenu avec sa famille à son passage à Varennes et on le ramène à Paris ».
L’Assemblée, après s’être livrée « au premier mouvement de joie que lui causait une aussi heureuse nouvelle »,
pensa qu’il n’y avait pas un instant à perdre pour prévenir les municipalités voisines, Moisdon, Meilleraye, Grand Auverné, Louisfert, Sion, St Aubin, Ruffigné, Issé, St Vincent des Landes, Abbaretz, Treffieux, St Julien, Erbray, La Chapelle Glain, etc : elles sont toutes énumérées avec le nom des émissaires chargés de les prévenir. Pouancé, Martigné, La Guerche ne sont pas oubliées. « La bonne nouvelle s’est répandue en moins d’une heure dans tous les environs et dans la circonférence de plus de quarante lieues ».
La messe d’un chien
26 juin 1791, à 2 heures de l’après-midi. On se demanda que faire des personnes arrêtées les jours précédents. On décida d’examiner en priorité les chargées de famille nombreuse « qui, par une trop longue détention pourraient être exposées à misère ». En revanche, les privilégiés furent maintenus en détention le temps de perquisitionner « dans leurs papiers de tout ce qui pourrait indiquer quelque intelligence avec les ennemis de la Patrie et de la révolution ». Les procès-verbaux de perquisition furent même envoyés au département à Nantes.
Quelques jours plus tard, les emprisonnés furent libérés, y compris « François Defermon, l’homme le plus dangereux ». C’était un prêtre réfractaire, qui était pourtant le frère de Jacques Defermon, partisan de la Constitution Civile du Clergé et qui deviendra, en juillet 1791, Président de l’Assemblée Nationale.
Le jour de la libération de François Defermon le 4 juillet 1791, Vallière, procureur de Moisdon, insulta Allouy, curé constitutionnel, à qui Terrien jeta des pierres dans les jambes. François Defermon, Terrien ... ce sont là les acteurs qu’on retrouvera plus tard, en 1793, avec Pacory et d’autres, quand Issé entrera en contre-révolution. Les Amis de la Constitution, à Châteaubriant, ne s’y trompent pas quand ils écrivent qu’à partir du domaine de Gatine (en Issé), propriété de la famille Defermon, « On y dit la messe, on appelle les habitants au son d’une cloche, on dit qu’aller à la messe du curé assermenté, c’est aller à la messe d’un chien »
Désillusion
Ainsi donc, en ce début de juillet 1791, la population était troublée par les dissensions autour des prêtres «
assermentés » ou « réfractaires ». Elle s’interrogeait sur la fuite du Roi
Du côté des officiers municipaux, c’était la désillusion aussi, mais pour une autre raison : les réunions se
succèdaient à un rythme soutenu, les obligeant « d’abandonner leurs affaires personnelles » et de remplir
tous les jours « les fonctions les plus pénibles et les plus importantes ». Certains d’entre eux envisageaient alors de démissionner, d’autant plus qu’ils était l’objet de critiques qu’ils jugeaient injurieuses, de la part de l’Administration du Directoire de District de Châteaubriant.
Le Corps municipal soutint ses officiers municipaux et leur demanda, avec l’appui des Amis de la Constitution, de ne pas démissionner « car on craint une insurrection en cette ville ». « Dans le temps critique où nous sommes, il faut oublier le ressentiment pour ne s’occuper que de ce qui concerne la chose publique ». Alors, pour regonfler le moral de tout le monde, rien de tel qu’une belle fête ! Le 11 juillet, sous l’impulsion du
Directoire du District, le Corps municipal de Châteaubriant décida de faire convoquer les citoyens « au son de la caisse » pour le 14 juillet aux 9 heures du matin, avec leurs armes, avec la municipalité, à Béré en l’église
paroissiale « pour célébrer une grand messe à la fin de laquelle on prêtera le serment prescrit par la loi ».
Ce fut une belle fête, ce 14 juillet 1791 !
Post-scriptum :
(1) On dit maintenant : le Conseil Municipal
(2) Charles Goudé : histoire de Châteaubriant
- Texte 1791-