Accès rapide : Aller au contenu de l'article |  Aller au menu |  Aller au plan simplifié  |  Aide  |  Contact |
bandeau

Accueil > Poésie et contes > Le Noël de Cyrille Plumet

Le Noël de Cyrille Plumet

Le noël de Cyrille Plumet
Date de mise en ligne : lundi 1er janvier 2007

Cyrille et la mère aux joncs

Cyrille Plumet était le plus heureux des hommes. Cela tenait à une chaise, A une chaise, me direz-vous, avec étonnement... Comment un meuble aussi modeste peut-il combler un mortel ? Et si, pourtant, car cette chaise en bois de merisier avec son cannage de paille rappelait à Cyrille Plumet les plus belles heures de son enfance passées les soirs d’hiver en compagnie de son grand-père ... il revoyait celui-ci à califourchon sur son siège, le dos au feu, accoudé au dossier et racontant à son petit-fils émerveillé d’étonnantes histoires entre deux bouffées de pipe.

Raconte, grand-père, raconte... je t’écoute.
Et le bonhomme, ravi, imaginait sans se lasser, mille récits de son invention.

Plus tard, bien plus tard, après la mort de ce grand-père aimé c’est à Cyrille que la chaise échut ...
Malheureusement, avec les années, le paillage se détériora et même se rompit par endroits. Cyrille qui retrouvait cette chaise chaque jour, fut désolé. Ah ! ma pauvre vieille soupirait-il en la revoyant ... tu es devenue inutilisable... Je vais te confier à un rempailleur...

Comme il n’en trouva aucun dans le voisinage, il décida de remiser l’invalide au grenier sous les chapelets d’oignons qui pendaient des solives.

Bien des mois s’écoulèrent et Cyrille privé de la chaise qu’il aimait perdit sa belle humeur. Soudain, un soir de décembre, trois jours avant Noël, une foraine sans âge, pas plus haute qu’un baricaut, traînant la savate et mal fagotée, vint frapper à sa porte.

Mon bon monsieur, fit-elle poliment, je vends des paniers...
Des paniers ? je n’en ai que faire, ma pauvre dame ... si encore vous rempailliez les chaises on pourrait peut-être s’entendre.

Mais je peux rempailler, mon bon monsieur.

Ciel ! vous êtes ma providence ... Puis-je vous confier une chaise à laquelle je tiens autant qu’à mes mirettes ?

Pour sûr, mon bon monsieur.
C’est bon ! je vais vous la chercher...
Et voilà Cyrille en émoi qui monte rapidement dans son grenier puis redescend avec la chaise défoncée.
Dans combien de jours me la rapporterez-vous ?
Trois, ou même deux .
Mais où nichez-vous ?
A la ville voisine sur Ie terrain des « gens du voyage ». Il a pour nom « la rigouillette » et je suis « la mère aux joncs »
Ça me coûtera combien ?
J’vous fais un prix, mon bon monsieur... trente francs.
D’accord ! mais si je ne suis pas à la maison quand vous la rapporterez, vous n’aurez qu’à la déposer chez mon voisin, le sacristain, qui vous paiera.

Le tête-à-tête s’arrêta là et la foraine partit rapidement avec le dossier de la chaise passé dans son bras.
Deux jours plus tard, elle n’est pas de retour. Cyrille commence à s’inquiéter.
N’ai-je pas été trop confiant se dit-il... Qui sait si la chaise de mon grand-père reviendra.
Par bonheur, elle revint. C’est au soir du troisième jour, à la veille de la nuit de Noël, qu’elle est de retour chez le sacristain. Cyrille en la revoyant est aux anges.
Qu’elle est donc belle ! s’exclame-t-il, enchanté... Je revis... Me voici, de nouveau, en compagnie de mon cher grand-père... et un soir de Noël, encore !
Débordant de joie, il décide de filer à bicyclette à "la rigouillette" pour remercier la rempailleuse.
Diantre ! S’écrie-t-il, en arrivant au terrain des gens du voyage... il y a bien là une douzaine de caravanes et autant de voitures ... où vais-je trouver "la mère aux joncs" ?
A tout hasard, il frappe à la porte d’un long véhicuIe d’où s’échappe un joyeux brouhaha de cris et de chansons. Un nomade moustachu surgit.
Holà ! que désirez-vous ?
Pourriez-vous me dire où loge une rempailleuse de chaises qui a pour nom "la mère aux joncs" ?
Du coup, toute la compagnie qui a tendu l’oreille, s’esclaffe, et le nomade déclare au malheureux Cyrille ahuri par cet accueil :
Mon pauvre ami, « la mère aux joncs » n’a jamais rempaillé de chaise dans sa vie ... elle ne sait que bricoler des paniers.
J’ai besoin de la voir... Où est-elle ?
Elle est partie avec sa roulotte et son vieux cheval et bien malin celui qui saurait vous dire où elle se trouve ...
Vous pouvez aller à sa recherche ... Bonne chance, camarade !
Et, sans plus d’explication, il referme, brutalement la porte.

Cyrille demeuré seul sous la neige qui commence à tomber reprend à bicyclette le chemin de son logis.
Pour se consoler de n’avoir pas revu la rempailleuse il allume un bon feu dans la cheminée et s’installe à califourchon sur sa chaise réparée, à la mode de son grand-père.

Il rêvassait et commençait à somnoler quand, ô surprise ! la chaise se mit à s’élever au-dessus du sol carrelé puis traversa la toiture avant de se retrouver dans la nuit d’hiver et les tourbillons de neige. Elle filait en emportant Cyrille qui se cramponnait nerveusement à la traverse du dossier...

Bientôt, elle survola un petit vallon enneigé où, une femme, près d’un chariot à bâche verte, attisait un feu de
menues branches avec une touffe de genêts... Eh non ! il n ’y avait pas à s ’y tromper. C’était bien "la mère aux
joncs" qui se trouvait là et lorsque la chaise se posa derrière elle. Cyrille put la remercier avec effusion.

Dois-je dire qu’à son réveil, le lendemain matin, jour de Noël, il était encore accoudé au siège du grand-père ?
Ai-je rêvé ou ai-je vraiment voyagé celle nuit dans les tourbillons de neige se demanda-t-il en regardant les derniers tisons qui rougeoyaient dans la cheminée ... Il ne sut, que répondre à cette interrogation sachant que les nuits de Noël ont non seulement leur mystère mais encore leurs secrets.

Jacques Raux