Date de mise en ligne : lundi 24 octobre 2005
(extraits du rapport de maîtrise de V. Rautureau)
1750 : Louis XV est Roi de France et Louis Joseph de Bourbon, prince de Condé, est le seigneur de Châteaubriant. Mais il réside à Chantilly et ce sont ses officiers qui administrent la ville, non sans rivalités avec la « Communauté de Ville » qui a élu M. Dubreil du Châtelier comme maire La jeunesse, en ce temps-là était bien turbulente .... Voici ce que raconte Vincent RAUTUREAU dans son diplôme de Maîtrise de juin 1998
Trois nuits consécutives, des "coureurs de nuit" ont escaladé le mur du couvent des Ursulines à Châteaubriant. Ils se sont attaqués aux vignes et aux arbres fruitiers. Un témoin raconte : " Ils ont poussé la destruction jusqu’à mordre les fruits dans les arbres et les y laisser à moitié mangés. C’est même un vandalisme scatologique, puisque l’on a retrouvé des ordures faites sur le banc d’une tonnelle, ainsi que des poires et des prunes farcies de ces ordures. La dernière nuit, ces visiteurs nocturnes ont volé dix-sept lapins blancs. ".(1)
La supérieure du Couvent ajoute que le franchissement des murs " ajoute encore au délit puisque les murs de clôture du couvent sont établis comme une frontière, sous la garde de laquelle la vertu et la piété trouvent un asile sacré contre les incursions du vice " (1)
Le pire c’est que le dimanche qui suivit ses ravages, les jeunes se sont retrouvés " au Moulin de Béré, préparant dans une marmite leur ’’fricot’’ de lapins volés "
Avec des cornes et des ferrailles
" Cette jeunesse turbulente a entre 17 et 35 ans, mais il s’agit surtout de garçons de 20 à 28 ans. Ils agissent en groupes de quatre à six membres. Leurs tapages et ravages sont cantonnés aux agglomérations. Sur sept affaires de ce type, quatre sont l’oeuvre de la jeunesse castelbriantaise " dit Vincent RAUTUREAU, qui a étudié ce comportement de la jeunesse castelbriantaise.(2) " La densité urbaine rend plus insupportables ces excès ".
Trois autres affaires de ce type se sont déroulées en campagne, " mais elles sont l’oeuvre de la jeunesse des bourgs. Sans doute à cause de leur isolement, les jeunes agriculteurs des hameaux ne participent pas à ces excès. Les enfants du peuple comme les fils de bonne famille sont accusés de tapages et de ravages. Bien entendu, ils mènent des actions distinctes et ne se mélangent pas ( ...) . Les compagnons sont particulièrement turbulents et composent la majorité des tapageurs et des ravageurs. Cinq fils de grands marchands castelbriantais dont un jeune procureur sont accusés d’avoir volé des fleurs", (2)
Un langage ordurier
La jeune élite sociale de Châteaubriant est allée jusqu’à organiser un charivari à un notable castelbriantais. " avec des poêles, des sonnettes, des tambours, des cornes et des ferrailles et en criant : "Vous êtes averti de la part des juges de police que ceux qui pisseront et chieront sur la rue auront le derrière torché d’une carabine chargée de cartouches rouges". Ce tumulte s’est fait dans l’anonymat, les tapageurs disant : "Bas la chandelle !" aux personnes qui se réveillaient. (3)
La jeunesse populaire se défoule le dimanche soir ou la veille des jours de fêtes. La nuit permet d’agir impunément. Ces excès débutent dans les cabarets que les garçons fréquentent jusqu’à une heure du matin. « C’est dans ces endroits que des tapages se déchaînent. A la sortie des cabarets cette jeunesse ivre se défoule. Six jeunes Castelbriantais roulent des barriques et des bûches dans les rues, lancent des pierres sur les fenêtres de ceux qui protestent et chahutent des passants » (2). Il est certain que « la musique attire les jeunes vers les bals et lescabarets. Un aubergiste convie à son établissement des garçons dont l’un sait jouer du violon. Ils vont chercher des filles pour danser »
Les ravages demandent une certaine organisation, ce sont des "complots", selon l’expression des habitants de Moisdon. Pendant des années, les jardins et les poulaillers de Moisdon ont été pillés. Une femme a lancé à un garçon : "Vous êtes une bande de cocquins qui ravagez toutes les nuits les pommes et les poires".
Mais que fait la police ?
Que fait la police ? que fait la justice ? D’après Vincent RAUTUREAU (2) des jeunes de " bonne famille " ont été reconnus et l’affaire a été étouffée, elle allait compromettre de trop grandes personnalités castelbriantaises. Il serait intéressant de savoir si ces groupes de jeunes sont structurés, comme on a pu le constater dans d’autres provinces. « Ce serait le cas de certains, caractérisés par le charisme d’un chef et par une forte cohésion. Les jeunes ravageurs du jardin des Ursulines semblent avoir pour chef le charpentier J.... C’est lui qui a été surpris avec un autre en train d’escalader les murs du couvent et c’est lui qui a chassé du Moulin de Béré des filles puis des garçons qu’il soupçonne d’être des espions » (2)
Ils se parlent en latin !
La cohésion est la deuxième caractéristique de ces groupes de jeunesse. Elle se manifeste par une solidarité qui ne se dément jamais, même face aux juges. « Dans les procès contre des tapages et des ravages, les dépositions des jeunes accusés concordent et restent évasives »Les malfaiteurs sont soudés par le délit commis ensemble et par le secret nécessaire à leur "complot" ». Dans l’affaire du pillage de fleurs, cette complicité s’est manifestée d’une façon très curieuse. « Ces cinq fils de marchands castelbriantais communiquaient entre eux en latin, afin de ne pas être compris par les personnesextérieures à leur groupe » (2).
La cohésion du groupe se manifeste notamment par la méfiance à l’égard de toute personne étrangère au groupe. Lors de la " petite soirée " au Moulin de Béré, deux jeunes garçons se sont approchés de la fête. Soupçonnés par le meneur J.... d’être venus les épier, ils ont été menacés et priés de décamper. La même méfiance s’est exercée surles filles conviées à danser, elles ont été repoussées dès qu’elles se sont montrées trop curieuses, J..., toujours lui, s’écriant : « Va laissons va les filles elles ne sont venues que pour nous épier ».
Vers Thourie, les autorités policières sont intervenues car plusieurs « llibertains et querelleurs sèment le désordre et ont des "batteries fréquentes" » (2)
Les adultes n’osent pas
Les excès de la jeunesse semblent être relativement tolérés par les adultes qui portent rarement plainte- Un procureur sait pourtant que de véritables ravages ont été faits dans un jardin par des « jeunes gens qui y sont allés exprès ». Or, ce méfait n’a suscité aucune procédure judiciaire.
Cependant, « ces ravages excèdent les victimes qui deviennent violentes. Un jeune voleur de poires a reçu un coup de pierre mortel par un métayer exaspéré par deux nuits de pillage. De nombreux témoins expriment leur mécontentement face aux excès continuels de la jeunesse »(2). Alors pourquoi cette indulgence ? Peut-être parce que les victimes ignorent qui sont ces malfaiteurs nocturnes. Cependant, les familles sont au courant des "complots" de leurs enfants et certains jeunes gens ont une solide réputation de mauvais garçons
" En fait, les hommes établis ne peuvent pas condamner, ni empêcher, des excès qu’ils ont eux-mêmes commis lorsqu’ils étaient jeunes. D’ailleurs, nous voyons plus de femmes que d’hommes critiquer les méfaits de la jeunesse masculine "(21)
Nous pouvons aussi supposer que les gens sont majoritairement indulgents parce que la jeunesse s’en prend souvent aux nantis. Les deux affaires de ravages poursuivis en justice ont lieu dans le jardin des Ursulines et dans celui du sieur B...
Mais faut-il s’en inquiéter ?
Les faits rapportés ci-dessus sont absolument vrais mais ... ils datent de plus de 200 ans. Ils ont été répertoriés et analysés par Vincent RAUTUREAU dans un mémoire de maîtrise d’Histoire et Sociologie de l’Université de Nantes (2).
Pour cela, il s’est attaqué à la criminalité dans la juridiction de Châteaubriant. Ce ne fut pas une mince affaire car il lui a fallu dépouiller 273 procès dont les pièces se trouvent aux Archives Départementales : des documents manuscrits, en langage de l’époque, écrits sur du mauvais papier qui porte au recto les traces du verso. Pas facile à déchiffrer .
" Conflits et solidarités au pays de Châteaubriant de 1750 à 1780 "
De ce travail considérable, Vincent RAUTUREAU a tiré un document de 235 pages sur le thème " Conflits et solidarités au pays de Châteaubriant de 1750 à 1780 "
162 crimes et délits (dont 20 homicides et 3 infanticides, 119 affaires de coups) et 63 atteintes aux biens (dont 55 vols). En lisant les documents se rapportant à 243 procès d’homicides, coups, avec ou sans injures, il a dégagé les raisons de ces violences, liées :
- aux biens (la terre, les bêtes, les objets, les conditions de travail)
- aux personnes (défense de l’honneur et de la réputation)
- aux comportements (naturel violent, alcool, conflit avec les autorités)
- ou à des solidarités familiales ou paroissiales
Il est impossible, dans ce trop bref article, de rendre compte de ce travail considérable où, en 250 pages, l’auteur passe en revue la famille, la communauté paroissiale, les lieux de rencontre des populations.
La famille
En ce qui concerne la famille, il s’intéresse à la femme, aux enfants, à l’honneur familial que peuvent compromettre les amours illégitimes et les infanticides. Il montre que le territoire familial c’est la maison, les terres et les bêtes (bétail et chien). Il analyse le rôle de la domesticité et de la parenté. Le voisinage est à la fois lieu de solidarité et source de conflit. Les autorités (curé et seigneur) jouent un rôle important et les étrangers sont souvent accueillis tout en provoquant parfois des réactions de xénophobie.
Cette communauté paroissiale est régulièrement mise à mal par les conflits entre exploitants agricoles et maîtres, entre meuniers et clients. Les journaliers, les itinérants (marchands et voituriers), les hommes de la forêt et des mines, voire les soldats et la maréchaussée déstabilisent parfois la communauté paroissiale .
Quant aux lieux de rencontres des habitants, ils sont nombreux : les lieux de passage (" espaces de sociabilité et sources de dangers "), les auberges et cabarets (qui permettent de " boire, manger, dormir, se divertir et faire des affaires ") et les grands rassemblements (foires et marchés, assemblées et mariages) dont la Foire de Béré, évidemment.
La lecture du document de Vincent RAUTUREAU est très riche : une publication est annoncée (nous aurons l’occasion d’en reparler). Nous nous sommes contentés, avec l’aimable autorisation de l’auteur, de reprendre quelques passages. Signalons aussi que Vincent RAUTUREAU interviendra à Ancenis, début septembre, dans le cadre du congrès des Sociétés Historiques de Bretagne sur le thème : « la femme dans le pays castelbriantais »
L’orgueil des notables
En conclusion de son ouvrage, Vincent Rautureau a dressé les grandes lignes du monde rural, autour de Châteaubriant, à la fin du XVIIIe siècle.. Il a relevé, malgré les conflits qui peuvent survenir dans les familles, que « c’est l’autonomie de la maisonnée qui assure à chacun la protection la plus importante » . Selon lui, d’une façon plus globale, l’autonomie populaire se manifeste à travers les solidarités villageoises ou professionnelles. « La résistance populaire est plus éclatante face aux décisions arbitraires des seigneurs et de leurs administrateurs » . Ce n’est pas le pouvoir qui est mis en cause, mais l’orgueil des notables et les décisions jugées arbitraires .
Des valeurs fondamentales
Les conflits et le jeu des solidarités révèlent les valeurs auxquelles les gens de cette époque sont attachés.
- Le territoire domestique est une valeur fondamentale. Les terres et les bêtes sont des biens très précieux et des objets de discordes parfois mortelles.
- L’honneur est la seconde valeur à laquelle les gens de cette époque sont très attachés, elle est liée à la première : les querelles d’intérêts deviennent très rapidement des questions d’honneur. Toute attaque à l’honneur d’un individu est une attaque à celui de sa famille.
- L’enracinement est une autre valeur essentielle de l’époque. Dans la paroisse et dans le village de sa famille et de ses ancêtres, on est sûr de son droit et certain de bénéficier de fortes solidarités. Cette valeur se construit autour d’une forte identité paroissiale, particulièrement vivante, face à l’autre. L’importance accordée à l’enracinement va de pair avec une xénophobie latente, avec une méfiance vis-à-vis de l’étranger, du soldat et du vagabond, inconnus imprévisibles. L’enracinement donne naissance à un antagonisme profond entre sédentaires et itinérants. Il est d’autant plus saisissant dans le pays de Châteaubriant qui compte une population forestière, itinérante et minière très importante. Cet antagonisme divise les habitants de la baronnie : le monde des mines, des chemins et des forêts vit à l’écart de la vie villageoise et rurale, et les querelles entre paroisses se nourrissent de ces différences professionnelles.
- La sociabilité est fondamentale et constitue le ciment de I’autonomie des communautés rurales. Le plaisir d’être ensemble est constant dans la vie des gens de cette époque et corrélatif à un sentiment d’appartenance. Les cabarets et les auberges, très répandus dans le pays de châteaubriant, sont des lieux publics de divertissement, de rencontre et d’ivresse. Les grands rassemblements (fêtes religieuses, marchés, foire de Béré) montrent cette profonde aspiration populaire à la détente et à la rencontre. Les hommes y viennent commercer le bétail, les femmes y font leurs emplettes, c’est une rencontre de grande envergure entre les campagnards et la ville, une concentration puis une diffusion des informations locales.
Les particularités de la Bretagne
Cette étude des mentalités (2) en pays de Châteaubriant trace les particularités de la Bretagne par rapport à d’autres régions françaises. Certes, la sociabilité des communautés rurales, l’autonomie et les valeurs populaires sont constatées dans tout le royaume. Cependant, la Bretagne se remarque par quelques distinctions.
C’est une province où la seigneurie a encore une forte emprise sur le territoire et sur les gens. Partenaires des communautés rurales, les seigneurs locaux sont souvent sollicités dans le cadre de la solidarité verticale. Ils deviennent parfois des adversaires, dès lors qu’ils prennent des décisions jugées arbitraires par le peuple. Des
régions comme la Beauce ne connaissent pas ces oppositions ou ces solidarités, car elles n’ont pas de droits communaux et la seigneurie n’a pas l’emprise qu’elle a en Bretagne.
Une autre différence est flagrante entre ces deux types de régions. La Bretagne est caractérisée par ses multiples petites exploitations agricoles qui sont autant de "pommes de discorde" entre particuliers, contrairement à la Beauce où la terre est divisée en grandes exploitations reparties entre quelques gros laboureurs.
Avec son système successoral égalitaire, la Bretagne se distingue aussi des régions méridionales de la France, elle ne connaît pas les querelles fratricides du Languedoc et se remarque par une forte solidarité offensive des frères.
A travers les siècles et les lieux, des différences et des évolutions peuvent être constatées. Même si la Bretagne de la seconde moitié du XVIIIe siècle est caractérisée par une contrebande active et même si elle craint les troupes de bandits et les vagabonds menaçants, elle ne vit pas l’état de guerre et l’oppressant sentiment d’insécurité face aux armées que connaît, par exemple, l’Artois du XVIe siècle.
Enfin, l’autonomie populaire en cette fin de XVIIIe siècle semble s’affirmer, elle est du moins confrontée à une réaction de l’élite sociale et de la seigneurie qui ne fait que l’aiguillonner et la renforcer.
Faire la part des choses
« Pour l’Histoire des mentalités et des comportements, les procédures criminelles demeurent une source très précieuse. Elles donnent la parole aux gens du peuple, elles nous permettent d’entrer au vif de leur quotidien et de leurs aspirations.
Travailler avec de tels documents est un réel plaisir et une découverte de chaque instant. Mais c’est aussi un exercice difficile, dans lequel il faut savoir faire la part des choses et ne pas rester dans l’anecdotique. Avec tout l’intérêt qu’elles offrent, les sources judiciaires ne donnent qu’un aperçu de la vie des gens sous l’Ancien Régime, un aperçu profondément orienté par la violence, et encore... pas de toute la violence. C’est pourquoi l’Histoire des mentalités et des comportements doit se faire avec diverses sources complémentaires, afin d’avoir une vision plus générale et plus juste de la société de cette époque » conclut Vincent RAUTUREAU.
(extraits du rapport de maîtrise de V. Rautureau)
Post-scriptum :
(1) Propos consignés dans le procès verbal n° B 109226/8, archives départementales
(2) rapport publié à l’Université de Nantes en 1998
(3) procès verbal n° B 10914/8, archives départementales