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TROIS CAHIERS POUR UNE COMMUNE
Le 31 mars 1789, la paroisse de Béré a rédigé son cahier de doléances en présence d’une cinquantaine de personnes.
Le 2 avril, c’est le tour de Châteaubriant ... à ceci près que, fait très rare en France, deux cahiers ont été rédigés par Châteaubriant, par deux assemblées différentes :
- d’un côté, autour de Jean René GUIBOURG, une trentaine de personnes se sont réunies au Couvent des Trinitaires.
- de l’autre côté, autour du maire François LOUARD et de l’avocat Jean Nicolas MEAULLE, se sont regroupées 117 personnes à l’Hôtel de Ville . Les bourgeois (fonctionnaires, juristes, riches marchands) y sont majoritaires.
Le premier étonnement vient du contenu de ces deux cahiers. Celui de l’Hôtel de Ville (Louard, Méaulle) est d’une pauvreté affligeante. Il se contente de reprendre le modèle qui circule en France sous le nom de "Charges d’un bon citoyen de campagne" .... tout en gommant les paragraphes qui dénoncent la main-mise sur l’expression du Tiers Etat des officiers seigneuriaux. Le cahier de l’Hôtel de Ville, par exemple, ne reprend pas l’idée d’élire des "prud’hommes" (qui feraient concurrence aux hommes de loi : avocat, procureur, notaire et autres robins) ; ni la phrase disant : "que nos représentants ne puissent être choisis parmi les officiers et gens des seigneurs et ecclésiastiques"
DES BOURGEOIS ICI ET DES BOURGEOIS LA
L’autre cahier, celui des Trinitaires (Guibourg , Ernoul de la Provoté), rédigé par des gens plus favorables à la noblesse qu’aux bourgeois, prend tout de même en compte certaines aspirations de la paysannerie modeste : contre les afféagements, contre les abus du gibier, pour la liberté économique, une meilleure assistance sociale, et “pour qu’il soit établi dans toutes les petites villes de France, et particulièrement dans celle-ci, des collèges pour l’instruction de la jeunesse". Ces demandes sont d’autant plus étonnantes que le seul professeur de la ville et la majeure partie des représentants de la société rurale, ne siègent pas au couvent des Trinitaires, mais à l’assemblée de l’Hôtel de Ville .
On peut donc en conclure avec le CLEF 89 (Association Nantes-Histoire) que "démagogie, querelles intestines, ambitions personnelles, recherche du pouvoir : tel semble être le climat cas telbriantais en ce printemps 89". || serait donc vain de classer les bourgeois castelbriantais en "révolutionnaires" et "conservateurs"
Bref, voilà donc Châteaubriant avec deux cahiers de doléances. L’affaire est portée devant le Sénéchal de Rennes qui déclare seule valable l’assemblée de l’Hôtel de Ville (autour de Louard et Méaulle). Appel est fait au Parlement de Bretagne le 10 juillet 89, puis au Conseil du Roi le 9 Août 89. Finalement, le roi décide qu’il y aura de nouvelles élections d’officiers municipaux à Châteaubriant : c’est la défaite des partisans de Guibourg.
Aux élections du 18 janvier 1790, un nouveau maire sera élu : Fresnais de Lévin, avec Méaulle comme procureur de la commune.
LA GRANDE PEUR
4 mai 1789 : ouverture des Etats Généraux à Versailles. Parmi les députés, il en est deux de la région castelbriantaise : Jean Nicolas MEAULLE (32 ans) et Jacques DE FERMON DES CHAPELLIERES qui réside à Gastines en Issé.
14 juillet 1789, la prise de la Bastille. le prix du pain atteint son maximum en France ce jour-là.
15 juillet 1789 , Louis-Joseph de Condé, seigneur baron de Châteaubriant, quitte la France. || prendra à Coblenz la tête des émigrés qui combattront plus tard la Révolution
22 juillet 1789 : c’est la "Grande Peur" à Châteaubriant où on annonce que 500 hommes en armes font des ravages dans les environs. On s’assemble, on cherche les coupables. On ne les trouve pas (et pour cause !). C’est l’émeute. Un peu partout en milieu rural, des seigneurs sont importunés voire attaqués et la bourgeoisie de Nantes s’en inquiète car "beaucoup de capitaux avaient servi à acheter des terres, et les bourgeois percevaient non seulement les fermages mais aussi les droits seigneuriaux dont les domaines étaient souvent grevés" écrit Yannick GUIN dans "la Révolution en Loire-lnférieure" . Cette grande peur devait déboucher sur la création de la Garde Nationale. Celle de Châteaubriant, forte d’une centaine d’hommes, fut mise sous le commandement de Jean Nicolas MEAULLE.
Mais revenons au 22 juillet 1789 : ce jour-là la foule, qui n’a pas trouvé les 500 brigands annoncés, tourne sa colère contre la cherté de la vie et la pénurie de grains. La communauté de Ville saisit la caisse du receveur des impôts indirects : 4 sacs d’argent et un sac d’or, et s’en sert pour acheter du grain et le distribuer aux habitants pour les calmer.
4 Août 1789 : à Paris, c’est l’abolition des Privilèges, la grande embrassade. Dans l’enthousiasme, les députés bretons déclarent renoncer aux Privilèges de la Bretagne, sans s’apercevoir que ce sont des droits inscrits dans le traité de 1532 et non pas des privilèges de classe. Ce faisant, ils trahissent le mandat qui leur a été donné par les électeurs qui tiennent,justement, à leurs franchises et libertés bretonnes. Le Président de l’Assemblée Constituante, le rennais Guy LE CHAPELIER, ami de MEAULLE, essaya de rattraper la chose, mais en vain. C’était la fin du Parlement de Bretagne .
A Châteaubriant, les événements du 4 Août sont passés inaperçus.
25 Août 1789, bénédiction des drapeaux envoyés par Nantes à la Garde Nationale de Châteaubriant. On jure fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi.
3 novembre 1789, la ville acquiert son propre drapeau et 300 fusils. Ce même mois, la Ville fait appel aux offrandes patriotiques pour secourir les pauvres dans le besoin.
Le 20 novembre 89, deux religieux du Couvent des Trinitaires viennent déposer à la mairie quatre chandeliers d’argent, deux autres chandeliers et une croix d’argent, pour les pauvres dont le nombre, vu la disette des grains, ne faisait qu’augmenter. On acheta du riz et du blé-noir dont on fit une large distribution.
C’était, entre toutes les villes de province, à qui montrerait le plus de zèle pour prendre des mesures libérales et les suggérer aux autres. Ainsi, la petite ville de La Guerche a envoyé copie d’un arrêté qui fut aussitôt suivi à Châteaubriant, interdisant à la noblesse et au haut clergé d’occuper toute place publique "parce qu’ils affectent un mépris dérisoire pour les milices nationales ; parce qu’en tout temps ils ont montré une opposition formelle aux vœux du peuple et qu’on doit en conclure qu’ils regrettent l’ancien régime"
CHATEAUBRIANT QUITTE LA SÉNÉCHAUSSÉE DE RENNES
1790 , en janvier, la Constituante met au point la réforme des circonscriptions administratives. La province de Bretagne est divisée en 5 départements et, sur la réclamation des députés bretons, la Roche Bernard et six autres paroisses sont rattachées au Morbihan. En compensation, le Pays de Châteaubriant est détaché de la Sénéchaussée de Rennes pour être attribué au Comté Nantais qui, avec le siège royal de Guérande, devient "La Loire-Inférieure". Le district de Châteaubriant comprend alors six cantons et 27 paroisses (32000 habitants environ)
18 janvier 1790 : élections à Châteaubriant. Sur les 3623 habitants, il n’y a que 434 personnes assez riches pour avoir ledroit de voter (on les appelle des "citoyens actifs". Les autres sont des "citoyens passifs"). Il y aura 230 votants . Vingt-huit personnes sont élues dont Fresnais de Lévin (maire), Jean Nicolas Méaulle (procureur), 8 officiers municipaux et 18 notables. Ces 28 personnes constituent le Conseil Général de la commune et, dans un grand élan patriotique, votent fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi.
UNE PRISE DE POUVOIR PROGRESSIVE
21 janvier 1790 : un comité de subsistance est formé pour distribuer, chaque mois, de l’argent aux pauvres. C’était en quelque sorte l’ancêtre de notre “revenu Minimum"...
Au cours de ce mois, encore, le Conseil de la Commune prend en mains toutes les administrations qui ne relevaient pas d’elle. C’est ainsi que la ville notifie au bureau de l’hôpital et à son économe, M. DUPIN DE LA FERRIERE que le Conseil de la Commune à seul le droit d’administrer l’hôpital et qu’il va s’en charger dorénavant. De nos jours, le maire est toujours, de par sa qualité de maire, le président du Conseil d’Administration de l’hôpital.
De même, le corps municipal administre les biens et revenus de la paroisse.
12 février 1790, “quant au peuple, l’exercice des libertés déjà acquises lui avait ouvert un appétit démesuré pour des libertés plus grandes encore. I ! suffisait de quelques citoyens pour provoquer une assemblée de la commune" commente l’Abbé GOUDÉ en relatant l’assemblée du 12 février 1790 où il fut décidé que : - "tout citoyen, de quelque âge et condition qu’il füt, à l’exception des ci-devant privilégiés qu’on abandonne à leurs remords, montât la garde — que tout bon citoyen füt admis aux assemblées municipales, sans pourtant y avoir voix délibérative — et que les "ci-devant privilégiés" qui voudraient revenir à Châteaubriant, prêtent “Je serment civique" devant la commune assemblée. C’est ainsi que MM. Dufresne de Renac (possesseur du Château des Fougerays), de la Houssaye (possesseur d’une vaste demeure bourgeoise dans la Grand Rue), Duhamel de la Bothelière (dont l’hôtel se trouve rue du Pélican), Luette de la Pilorgerie, et d’autres, furent admis au serment patriotique.
Un peu partout, le peuple s’en prend aux nobles et à leurs propriétés, ce qui provoque la protestation de M. Dufresne de Virel, devant l’assemblée communale le 16 février 1790 : “Messieurs, dit-il, on cherche à détruire nos propriétés. On nous suppose des tyrans, des oppresseurs et on veut nous rendre responsables des vexations de quelques procureurs fiscaux qui ont pu abuser de notre confiance (...) . Eh bien, messieurs, qu’on nous juge (...) il n’en est aucun de nous, nous aimons à le croire, qui ne soit et n’ait été, dans tous les temps, disposé à rendre à chacun la justice qui lui est due".
Suite à cela, le Conseil Municipal s’efforce d’apaiser les esprits et de maintenir le bon ordre dans les campagnes. Non sans peine, car il circulait sans cesse des rumeurs alarmistes : une troupe armée s’apprêtait à envahir la ville avec des projets détestables. Alors, pour se mettre à l’abri de tout reproche, le Conseil de la Commune invite la Garde Nationale à surveiller très activement toute démarche visant à troubler le repos public et à léser les propriétés. On prescrit de tenir les armes en bon état, de faire monter les canons sur leurs affüts et de se procurer le plus de cartouches possible.
13 mars 1790, l’Assemblée Nationale supprime le Clergé Régulier (celui des Congrégations religieuses). A Châteaubriant, la messe au Couvent des Trinitaires sera supprimée à partir du 10 Août 1790 et les deux derniers religieux quitteront la ville en 1791.
6 mai 1790, élections au Directoire de Département. Jean Nicolas MEAULLE en est membre, cependant que Fresnais de Lévin est président du District de Châteaubriant et Bruneau de St Méen vice-président . Pour remplacer ces trois hommes, il faut donc de nouvelles élections municipales .
25 mai 1790, élections au Directoire de la Ville. Le nouveau maire est Louis Joseph MARGAT
Elections aussi au Tribunal de Châteaubriant : Jean René GUIBOURG est nommé Commissaire du Roi, par surprise, et sans qu’il ait prêté le serment civique exigé.
À noter que Fresnais de Beaumont (frère de Fresnais de Lévin) et contre-révolutionnaire notoire, a été élu Juge de Paix à St Julien de Vouvantes. || sera guillotiné place de la Motte en février 1794 .
Deux groupes s’affrontent donc toujours à Châteaubriant :
– les patriotes, partisans inconditionnels des réformes, qui s’appuient sur la Garde Nationale. Parmi eux : Jean Nicolas MEAULLE.
– les nobles et les aristocrates et ceux qui les soutiennent comme Jean René GUIBOURG
C’étaient d’ailleurs toujours autant des conflits de personnes que des dissensions politiques ...
27 juin 1790 - importante manifestation pro-révolutionnaire à Coesmes, à 25 km au nord de Châteaubriant. Un "pacte fédératif“ y est signé. La Fédération de Retiers jouera un rôle plus tard au moment de la Chouannerie à Châteaubriant.
14 juillet 1790 - la Fête de la Fédération, partout en France. Important banquet à Châteaubriant dans l’enceinte du Couvent des Trinitaires.
29 Août 1790 , le Roi signe la "Constitution Civile du Clergé" qui faisait élire les curés par l’assemblée électorale du District, et les évêques par celle des Départements. Cette décision contribuera à dresser, plus tard, une partie du peuple contre la Révolution.
9 octobre 1790, la Communauté de Ville obtient le doublement des gendarmes de la maréchaussée de Châteaubriant, pour parer au brigandage qui se développe avec le chômage et la faim. La Communauté de Ville crée un "atelier de charité" qui emploiera jusqu’à 115 personnes mais devra être fermé, début
1791, par manque d’argent .
Nous arrêterons-là notre récit. Les années suivantes furent des années de trouble : la Constitution civile du Clergé divisait les habitants, de même que la guerre et la nécessité d’enrôler des jeunes gens. La campagne était en effervescence. En ville siégeait la société des "Amis de la Constitution" dont l’une des idées füt de débaptiser Châteaubriant pour lui donner le nom de "MONTAGNE SUR CHERE" . Le sinistre "rasoir populaire" fût même dressé sur la Place de la Motte pour guillotiner Fresnay de Beaumont .
Notre ville connut la guerre civile et la présence des troupes. Les "bleus" (républicains) avec la présence des généraux Kléber et Marceau qui résidèrent, dit-on, à l’hôtel de La Bothelière, et les "blancs" non loin d’ici, à Petit Auverné, pourchassés par un certain Sigisberg Hugo qui y rencontra la jeune Sophie Trébuchet. Et c’est ainsi que naquit un jour Victor Hugo....
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JEAN NICOLAS MÉAULLE
Député de Châteaubriant
Marcel Buffé, dans son livre “Châteaubriant, une cité dans l’histoire" (Ed. CID) le décrit ainsi : Originaire de St Aubin des Cormiers, Jean Nicolas MEAULLE avait un peu plus de 20 ans quand il fut reçu avocat. C’est alors qu’il se fit inscrire au barreau de Châteaubriant. D’humeur enjouée, Méaulle s’acquit vite l’estime des Castelbriantais d’autant qu’il était doué d’un beau talent oratoire.
Son épouse, Félicité Peuriot, était la cousine du directeur de la Poste aux Chevaux de Châteaubriant, lequel était aussi le propriétaire du principal hôtel de la ville (Le Lion d’Or). Il est vraisemblable que le foyer n’habitait pas Châteaubriant mais peut-être à La Moisserie en St Vincent des Landes .
Le cabinet de Méaulle était situé dans une maison qui donnait sur la Rue Basse (au Sud) et et l’autre au nord sur cour et jardin.
Méaulle n’était pas un exalté contre la monarchie, ni un excité contre la religion. S’il prit le parti opposé à celui de son collègue Jean René GUIBOURG, aristocrate qu’il combattit, c’est qu’il jugeait urgent de faire des réformes pour faire respecter la justice en matière d’impôts et permettre l’accès aux carrières publiques.
Commandant de la Garde Nationale à Châteaubriant, juge puis président du Tribunal, il fut l’un des administrateurs du Département de Loire-Inférieure ; il ne siégea pas à la Constituante (n’ayant été élu que suppléant), mais il fut nommé premier sur la liste de son département à la Convention. Lors du procès de Louis XVI , il se prononça ainsi : “je ne puis soustraire le plus grand des coupables à la peine qu’il a méritée : je vote la mort".
Plus tard, Méaulle s’écarta de l’Empire et fut éloigné par les Bourbons. Il mourra à Gand en 1826
Jean Nicolas MEAULLE était un ami personnel de Guy LE CHAPELIER, avocat au Parlement de Rennes, fondateur du Club des Bretons (futur Club des Jacobins), président de l’Assemblée Constituante lors de la Nuit du 4 Août 1789, rédacteur de la loi portant abolition de la noblesse et des titres féodaux, et de la loi interdisant les corporations ouvrières et la grève .