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Le Courrier de Châteaubriant du 2 juin 1944
Nous sommes à quatre jours du débarquement des Alliés en Normandie mais, évidemment, le Courrier ne peut pas le savoir.
Faisant un article sur la guerre, il révèle qu’en Italie les assaillants anglo-américains, « bien qu’appuyés par près de 400 chars, n’ont gagné que très faiblement ». Par ailleurs, « la guerre aérienne telle que la conçoivent et la pratiquent les Anglo-Américains a soulevé une réprobation unanime de l’Europe et même voici qu’en Angleterre et aux Etats-Unis les critiques se font de plus en plus nombreuses contre les raids terroristes dont on commence à mettre sérieusement en doute l’efficacité militaire » (…). « Les milieux militaires soviétiques s’élèvent de leur côté, contre la théorie d’une victoire possible par la seule intervention des forces aériennes ». Le Courrier ne croit donc pas à un Débarquement possible !
Le Courrier manifeste cependant une inquiétude certaine : évoquant les bombardements de Nantes et d’Angers (28 mai 1944). il écrit : « D’aucuns prétendent que les Allemands qui nous occupent ne font rien pour nous défendre. Si nous avions su garder le peu qui nous était concédé ; si au lieu d’étouffer ou de disperser à tous vents les sentiments patriotiques qui sommeillaient au fond des jeunes cœurs ; si au lieu de compter toujours sur les autres, nous avions voulu ne compter que sur nous, nous ne serions pas aujourd’hui les mains vides, les yeux humides et la rage au cœur, réduits à l’impuissance. Et ceux qui nous assaillent seraient moins forts aussi contre nous ».
Le Courrier du 2 juin 1944
Cette « rage au coeur » est bien entendu provoquée par « les assaillants » anglo-américains. Le Courrier, lui, célèbre le soldat S.S incarnant « l’expérience guerrière, l’endurcissement humain, la fierté d’avoir participé à de nombreuses victoires ».
Le Courrier relate ensuite la visite du Maréchal Pétain : « La Lorraine enthousiaste accueille le Maréchal : Nancy, Epinal, Dijon ». « Obéissez aux ordres mais n’écoutez pas les mauvais bergers d’au-delà de nos frontières » dit le Maréchal. Et le Courrier commente : « N’a-t-il pas marqué aux yeux du monde entier l’indéfectible union des Français et de leur chef légitime, le Maréchal Pétain ? ».
Le Courrier du 2 juin 1944-1
[Ndlr : les Français applaudiront De Gaulle, tout comme ils avaient applaudi Pétain, quelques temps avant …].
Revenons à Châteaubriant : le Courrier prend des dispositions vis-à-vis de ses correspondants et de ses annonceurs, pour pouvoir continuer à paraître.
La population est invitée à participer à l’impôt-métal « avec des objets dont la plus grande partie est en cuivre ou alliages de cuivre (bronze, maillechort, laiton) ou en étain, nickel, plomb. Vous apporterez donc des objets ménagers hors d’usage (bouillottes percées, soldats de plomb brûlés, vieux chauffe-bain, radiateurs d’autos crevés, etc) ou inemployés (chenets, pare-feux, pelles et pincettes, suspensions, lampes à pétrole, pièces démonétisées, etc), utilisés mais remplaçables ou dont vous pouvez vous passer (chaudrons, coffrets, vases à fleurs, etc). Des objets qui ne vous sont pas essentiels. Du métal dont la France ne peut se passer ».
Par ordre des autorités allemandes, les propriétaires « ne doivent pas laisser plus de trois rangs de fil de fer à leurs clôtures. Le surplus, réquisitionné, doit être enlevé et remis au plus tôt à la mairie (...) ».
« Lettre ouverte à nos réfugiés »
Enfin, à côté d’annonces diverses, le Courrier publie une « Lettre ouverte à nos réfugiés » :
« Personne ne perd de vue – les dirigeants des associations de réfugiés moins que tout autre – la situation difficile faite aux réfugiés dès le début. Néanmoins, le temps aidant et grâce aux paiements des indemnités et des allocations, grâce aux distributions de bons de toutes sortes ; grâce au dévouement des personnes qui ont pris en mains les intérêts des réfugiés, la situation du plus grand nombre d’entre eux s’est sensiblement améliorée. Nous pensons même que si le travail occupait leurs loisirs, forcés et prolongés, beaucoup auraient l’impression d’avoir, sous d’autres cieux, retrouvé, en grande partie, ce qu’ils ont perdu. D’où vient donc que certains réfugiés se refusent à travailler ? Ignorent-ils que le travail est la sauvegarde de la liberté et de la dignité ? Non ! Mais, malheureusement, des sentiments moins louables les animent. Ils craignent en travaillant, d’être réincorporés dans le cycle normal de la vie et de perdre par là même les avantages des allocations. Nous n’ignorons pas que par le jeu de ces allocations, certaines familles de réfugiés en chômage touchent plus chaque année qu’elles ne recevaient à Nantes en travaillant. Pour ceux-là et dans ces conditions, la guerre ne saurait jamais assez durer ! D’autres n’ont pas su réagir contre le malheur et se contentent à présent de mener une existence végétative et combien précaire ! Les uns et les autres ont tort. D’abord parce que les Pouvoirs Publics qui ont été très compréhensifs dans le malheur, ne permettront pas que leur générosité devienne une école du vice et que les réfugiés spéculent sur la misère ; ensuite parce que l’oisiveté est la mère de tous les vices et peut conduire aux pires déchéances.
Vouloir vivre uniquement de charité, quand on a la santé pour travailler est indigne des Français qui, après la guerre, auront tant à faire pour relever les ruines de la Patrie saccagée et meurtrie.
Nous voulons croire que les doléances dont nous ont entretenu certains fermiers, stupéfaits par les refus qu’ils ont essuyés de la part de réfugiés, en un temps où le travail commande, ne sont que des exceptions. Nous engageons vivement ceux que la question concerne à ne pas bouder davantage à l’ouvrage. A moins que … il y ait aussi de la part des fermiers une attitude étrange. Celle par exemple, comme on nous l’a rapporté, d’offrir aux réfugiés comme aux ouvriers d’usine en chômage, des prix dérisoires ressemblant plus à une aumône qu’à une honnête rétribution ».
Le Courrier du 16 juin 1944, après le Débarquement
Cette fois-ci, le Courrier paraît après le débarquement du 6 juin 1944, qu’il ne peut ignorer mais dont il minimise la portée en disant : « malgré la violence de leurs attaques, les troupes alliées qui se sont heurtées à une forte réaction allemande, n’ont pas modifié les positions prises à leur arrivée ». La lecture de la rubrique « guerre » montre la destruction de paquebots britanniques, chars, destroyers, navires de transport, vedettes rapides, etc. Le Courrier désigne les assaillants sous le vocable d’anglo-américains, mais aussi d’ennemis, de troupes d’invasion. Par exemple sur le front de l’Est « Nous avons amélioré nos propres positions. L’ennemi a subi des pertes considérables ».
Appelant l’Histoire à la rescousse, comme il l’avait fait pour l’Angleterre, le Courrier remonte à Louis XV pour expliquer que les Russes ne sont pas nos amis. « En 1914, nous sommes entrés en guerre pour couvrir Belgrade et Saint-Petersbourg, c’est à dire des terres slaves qui ne nous étaient d’aucun intérêt. Et tout le monde sait ce qu’il nous en a coûté de nous faire, pendant plus de quatre ans, le sergent de bataille du Slavisme. Comment ne pas évoquer aujourd’hui avec une atroce amertume cette lune de miel franco-russe qui, à la fin, devait disparaître sur l’horizon sanglant d’une Révolution dans les sinistres lueurs de l’incendie bolcheviste ».
Concernant Châteaubriant, le Courrier évoque les bombardements de la ville les 7-8 juin 1944 et l’enterrement des six premières victimes le 9 juin (Perennec, Perron, Tortellier, Bricaud, Roux, Loëzer). Le lendemain eurent lieu les obsèques de la septième victime, le jeune Heurté décédé de la suite de ses blessures. « Des conseils de sage prudence ont été donnés par la Mairie et la Sous-Préfecture. Suivons-les avec discipline. L’heure n’est plus à la critique : elle est à l’union et à la bonne volonté ».
La Feldkommandantur de Nantes rappelle que l’élevage des pigeons voyageurs par les civils est interdit et que « les pigeons-voyageurs trouvés morts, ceux qui viendraient se poser ou se jeter, munis d’un dispositif de parachute, doivent être déposés sans délai au prochain poste de gendarmerie qui, de son côté, est obligé de remettre immédiatement les pigeons à la Feldkommandantur en joignant un rapport précis ».
Le Courrier du 23 juin 1944
Le Courrier ne veut pas ou ne peut pas croire à la victoire éventuelle des anglo-américains. « Une pluie de feu tombe sans arrêt » mais « la marine allemande opère avec succès » et « les robots aériens allemands font des ravages inouïs en Angleterre ». Rappelant « l’année 1776, qui vit les colonies américaines de la Grande Bretagne proclamer leur indépendance », le Courrier exprime sa déception vis-à-vis des Américains : « quand on pense au beau passé, à tout ce que l’Amérique doit à la France, on est pris d’une amère tristesse devant les ruines qu’elle a déjà accumulées chez nous ».
Mais savez-vous pourquoi Le Portugal est en paix ? Le Courrier le révèle : « C’est qu’en 1917, il s’y est passé un fait retentissant : la Sainte Vierge apparut à Fatima à cent kilomètres de Lisbonne (…). N’allons-nous pas tous répondre comme les catholiques du Portugal en faisant pénitence, en rejetant nos erreurs nationales, en vomissant le virus communiste, source de tous nos maux ? »
Véhicules
C’est la guerre, il va falloir réagir vite : « Les commerçants, industriels, entrepreneurs disposant d’au moins deux véhicules utilitaires autorisés à circuler devront, pendant les mois de juin et juillet, se considérer comme requis en permanence en cas d’événement grave, tel qu’un bombardement, et devront prendre leurs dispositions pour :
a) pouvoir être touchés personnellement au siège de leur entreprise ou de leur commerce dans les deux heures qui suivront la catastrophe,
b) tenir au moins la moitié de leurs véhicules, avec les chauffeurs, à la disposition du Service du Routage dans les trois heures qui suivront la catastrophe, si celle-ci a lieu de jour, et dès le lever du soleil, si la catastrophe a lieu de nuit, même et surtout s’il s’agit d’un jour de fête ou d’un dimanche ».
Le Conseil Municipal, qui s’est réuni le 26 juin 1944 en séance exceptionnelle a voté des crédits pour la nourriture et le paiement des hommes assurant les services permanents d’incendie (33 pompiers) et de Défense Passive (9 membres sous la direction de M. James) ainsi que la nourriture des ouvriers de la Brutz, des requis et du personnel de la SNCF employés durant quelques jours au déblaiement des dégâts occasionnés par le bombardement des 7-8 juin à Châteaubriant.
Le C.O.S.I. (Comité ouvrier de secours immédiat) à Châteaubriant a versé aux sinistrés et victimes des bombardements des 7-8 juin, 1000 fr pour mortalité et 500 fr par blessure reconnue par un docteur et occasionnant une incapacité partielle de travail.
Le personnel des établissements Huard était en congés payés du 5 au 17 juin. « Tous les ouvriers qui le désirent peuvent être occupés, soit au déblaiement de l’usine sinistrée et au sauvetage du matériel, soit à des travaux d’intérêt général à Châteaubriant même, ce qui leur permet de s’assurer 48 heures de travail par semaine à un salaire normal : ils doivent pour cela se présenter tous les matins à l’usine des Vauzelles, à 9 heures du matin. Ceux qui préfèrent ne pas accepter le travail ainsi offert ne peuvent pas être indemnisés et seront considérés comme assurant eux-mêmes leur subsistance et celle de leur famille ».
Le Courrier du 23 juin 1944
Des jeunes insouciants
Vendredi [16 juin sans doute], se dirigeant vers le Centre d’Accueil de Béré, « un premier lot de réfugiés venant du centre de la France, poussaient avec courage une misérable charrette contenant les valises et les quelques choses sauvées par ces malheureux. Ils croisèrent à l’angle de la rue de la Poterie quelques jeunes gens (de 18 ans environ) qui, gaiement, jouaient dans la rue ». Comme ces derniers « n’hésitaient pas visiblement à se gausser du lamentable cortège », il leur fut demandé plutôt « d’aider à pousser, au cours de la route qui monte. Appel qui motiva un refus brutal et aussi … la colère sourde de tous les pauvres gens sans foyer, ainsi placés en face de jeunes insouciants sans cœur, de jeunes qui n’ont encore rien compris au drame qui se joue près d’eux et dont, demain, peut-être, ils seront les victimes eux aussi ».
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P.-S.
NB : Les extraits du « Courrier » publiés ci-dessus complètent le livre « Telles furent nos jeunes années » (300 pages) racontant la vie à Châteaubriant, la Résistance, la Déportation et la Libération. Disponible encore dans les librairies de Châteaubriant ou téléchargeable ici : http://www.journal-la-mee.fr/IMG/pdf/LivreMee.pdf