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Du fantôme de Françoise, à la Bête de Béré

Contrairement à ses habitudes, LA MEE n’a pas voulu faire un journal austère, n’a pas essayé de mener une recherche originale. Elle a souhaité au contraire rendre hommage au passé de cette région, qu’il revive à travers ses histoires ou ses légendes . (écrit en juin 1991)

Qui donc, dans le passé, a pu mieux le faire que GOUDÉ, CHAPRON, BRÉMONT, TOUDOUZE, BUFFE ou BREKILIEN ? et plus récemment Christian Bouvet. Leurs livres, pour les plus anciens d’entre eux, sont hélas épuisés et il n’en reste que quelques exemplaires sur les rayons de bibliothèque . Et l’oubli s’installe .

C’est pour vaincre cet oubli que LA MÉE a fait de larges emprunts aux conteurs de la région, avec l’espoir de voir un jour rééditer leurs œuvres , essentielles pour la richesse de notre culture .

L’histoire de la région castelbriantaise remonte sûrement à 8000 ou 9000 ans avant Jésus Christ. Des tribus qui peuplaient cette région, nous ne savons rien avec certitude . Sinon qu’elles nous ont légué quelques menhirs (des "pierres effries" comme on dit ici), quelques haches datant de l’âge de la Pierre Polie ou de l’âge du Bronze. Comme partout en Armorique, ces tribus (qui pourraient être les derniers Atlantes, selon Y. Brékilien) ont cédé la place aux Celtes. Ceux-ci ont été colonisés à leur tour par les Romains, ont subi les invasions des Normands et les attaques des Francs, puis ont émigré en Grande-Bretagne avant de revenir s’installer en Armorique sous la direction de chefs prestigieux comme Alain Le Grand ou Alain BarbeTorte : des chefs qui se sont appelés "duc" (du latin Ducere : conduire)

À la suite d’Alain BarbeTorte, les seigneurs bretons sont revenus s’installer sur la terre de leurs ancêtres. C’est ainsi que dame Innogwen, veuve de Teuhaire (un chef breton) vint en notre région avec ses trois fils : l’un d’eux, Brient, fit édifier le premier château, Castellum Brientii, vers 1040 environ, non loin de Béré (Bairiacus) qui existait déjà depuis 500 ans . Châteaubriant, avec son château-fort, était l’une des quatre places fortifiées de Bretagne. Celle-ci était protégée par ses frontières naturelles (la mer et la Loire) mais avait besoin de se défendre , vers l’est, contre le royaume de France : d’où la construction des forteresses d’Ancenis, Châteaubriant, Vitré et Fougères .

Ce ne sont là que quelques indications sur l’origine de Chäteaubriant qui s’écrit avec un "t" à la fin, comme Castellum Brientii . Quant au grand écrivain, François René de Chateaubriand, auteur des Mémoires d’Outre-Tombe, il est issu d’une branche cadette des Seigneurs de Châteaubriant. Et si son nom s’orthographie avec un "d’", c’est par suite de l’erreur commise un jour par un scribe ...

 SIBYLLE : AU COEUR BRISÉ

"L’Histoire de Châteaubriant présente cette particularité, que plusieurs femmes célèbres y apparaissent à côté des valeureux barons du Moyen-äge" : ainsi s’exprime Charles GOUDE dans son Histoire de Châteaubriant éditée en 1870 . Trois de ces femmes méritent de retenir notre attention par leur destin tragique : Sibylle, Francoise de Dinan et Françoise de Foix. C’est leur histoire que nous voulons retracer.

Nous sommes en 1248. Cela fait plus de 50 ans que sont commencées les Croisades, ces expéditions venues d’Occident pour reprendre aux "infidèles" ces Lieux Saints que sont, pour les chrétiens, Bethléem , Nazareth et Jérusalem , passés sous domination islamique au VII° siècle. Depuis l’appel du pape Urbain Il , en 1095, des villages entiers se font coudre une croix sur leurs vêtements et partent “libérer la Terre Sainte", avec tous les périls et aléas que cette expédition lointaine peut comporter.

Croisades

1248 : c’est la septième croisade, la première que mène le roi Louis IX à la suite d’un vœu fait au cours d’une longue maladie. Son plan est de frapper l’Islam en Egypte puis de marcher sur la Terre Sainte . Des évêques, des nobles, se joignent à lui. Parmi eux : le Sire de Joinville, le seigneur de Vitré et le baron GEOFFROY IV , seigneur de Châteaubriant

1250 : cela fait deux ans que Geoffroy est parti et depuis ce temps on est sans nouvelles de lui. Sa jeune femme Sibylle, enfermée en son logis, est en grande tristesse. Entourée de ses enfants et de ses chambrières, elle assiste aux offices religieux et brode une longue tapisserie célébrant les hauts faits de guerre de son mari.

1250, le roi Louis IX (dit "St Louis") marche sur le Caire et bat les mamelouks à Mansourah (1250) non sans perdre de nombreux chevaliers, dont le Baron de Vitré. Mais le Nil déborde, et la peste ravage son armée. Louis IX ordonne la retraite et est fait prisonnier, avec beaucoup des siens.

LE BONHEUR EST MORTEL QUAND L’AMOUR EST EXTREME

1252, la funeste nouvelle est parvenue à Châteaubriant. Le Château de Châteaubriant est en deuil. Tout à coup, un soir de printemps, la corne d’alarme retentit au sommet du grand donjon. Une troupe de gens en armes s’avance vers Châteaubriant, par le chemin d’Ancenis. Les bourgeois de la ville montent au château par la Poterne cependant que les serviteurs se groupent autour de Dame Sibylle. Celle-ci envoie l’un de ses pages au devant de la petite troupe. La rencontre a lieu "au croisement du chemin de la Vannerie aux Fougerays".

Grand miracle et grande joie, voilà Geoffroy, fatigué et décharné mais vivant. Sibylle s’avance vers lui et se jette dans ses bras, défaillante de bonheur . Défaillante ? Elle pâlit, ses yeux se ferment : elle est morte .

À la suite de ce drame, Geoffroy IV fit construire le couvent et l’église de la Trinité et y enterra son épouse. Enfin, à l’endroit où il avait rencontré son seigneur, le page fit élever une croix que l’on appela "La Croix au Page" . Une plaque à ce nom existe à Châteaubriant.

 FRANCOISE DE DINAN Gouvernante d’Anne de Bretagne

Françoise de Dinan, petite-fille de Charles de Dinan, baron de Châteaubriant, naquit à Dinan en novembre 1436. Elle sortait à peine du berceau qu’elle fut promise en mariage à un autre enfant, François de Laval, seigneur du Gâvre, fils ainé de Guy IV, Comte de Laval. Mais à 8 ans, elle perdit son père et devint la plus riche héritière du duché de Bretagne. Elle fut alors demandée en mariage par Gilles de Bretagne, le frère de François 1er, duc de Bretagne . Pour Françoise de Dinan, cette demande en mariage pouvait être un premier pas vers le trône de Bretagne, mais elle le refusa .

Alors Gilles de Bretagne fit enlever Françoise de Dinan et la garda prisonnière en son chateau du Guildo, jusqu’à ce qu’elle ait l’âge de se marier : Françoise de Dinan raconte : " Je fus prise par Monseigneur Gilles de Bretagne, lequel me voulut avoir en mariage, et toujours depuis m’a détenue jusqu’à sa prise dernièrement au château du Guildo ; lequel ! Monseigneur Gilles est allé de vie à trépassement sans ce que ledit mariage d’entre lui et moi ni ait été jamais accompli ni consommé, pour mondit bas âge". Gilles de Bretagne, en effet, fut arrêté au Château du Guildo et interné à Dinan. Ses geôliers décidèrent de le faire périr, par le poison d’abord, puis par la faim. Mais ses souffrances lui firent pousser de tels gémissements qu’une femme passant devant le château l’entendit et lui apporta chaque jour, en secret, de quoi se nourrir.

Six semaines plus tard, stupéfaits de le trouver toujours vivant, ses geôliers essayèrent encore le poison, puis, en désespoir de cause, l’étranglèrent de leurs mains et finirent de l’étouffer entre deux matelas.

Après cette mort sordide, dont n’était pas responsable la jeune Françoise de Dinan, âgée de 13 ans, la jeune fille fut mariée. Non pas à son promis, François de Laval, Seigneur du Gâvre, qui n’avait pas encore 15 ans, mais à son père, le vieux Guy XIV, comte de Laval, en 1451. Françoise de Dinan devenait ainsi Comtesse de Laval tout en conservant l’administration particulière de la Baronnie de Châteaubriant.

Par la suite, après la mort de son mari, Françoise de Dinan se ligua contre François Il, Duc de Bretagne, avec de nombreux Seigneurs comme le Vicomte de Rohan, le Maréchal de Rieux, etc, qui s’allièrent ... au roi de France Charles VIII, pour faire sortir de Bretagne tous ceux dont ils n’étaient pas contents. Ainsi fut signé le traité de Châteaubriant par lequel des barons de Bretagne faisaient appel à l’invasion étrangère pour régler une querelle interne aux bretons. Funeste ineptie, dont ils se rendirent compte bien tard, trop tard. En 1488, les Français vinrent mettre le siège devant Châteaubriant et le Sire de la Trémouille détruisit le château et une partie des tours de la ville.

Ce fut la fin du gouvernement du duc François Il dont les troupes furent défaites par les Français à St Aubin du Cormier. Le duc lui-même mourut en septembre 1488, laissant deux filles : Anne, future Duchesse de Bretagne et Isabeau qui mourut jeune, confiées par leur père à la garde de Françoise de Dinan.

C’est donc Françoise de Dinan, Baronne de Châteaubriant, qui eut l’insigne honneur d’éduquer la jeune Anne de Bretagne, alors âgée de 11 ans, celle qui devait devenir la "Bonne Duchesse Anne" Morte en janvier 1500, à l’âge de 65 ans, Françoise de Dinan est enterrée dans la cathédrale de Nantes, près du tombeau de François || et de Marguerite de Foix. Le futur Jean de Laval, dont nous parlerons plus loin, est un petit-fils de Françoise de Dinan.

ANNE DE BRETAGNE d’après une médaille offerte au roi Louis XI par la ville de Lyon en 1493. L’effigie d’Anne de Bretagne se détache sur un fond d’Hermines (emblème de la Bretagne) et de Fleurs de Lys (emblème de 1a monarchie française).

 FRANCOISE DE FOIX La mye du Roi"

1501 : le jeune Jean de Laval a 14 ans. Il est page à la Cour d’Anne de Bretagne, Duchesse de Bretagne et épouse du Roi de France Louis XII.

1503, François de Laval, Seigneur de Châteaubriant, meurt brutalement à 40 ans, laissant la baronnie à son fils Jean de Laval. Celui-ci, les jours de deuil passés, s’en revient prendre son service de page auprès de la Duchesse Anne, müri par cette douleur inattendue. "Maturité qui lui fait regarder avec un intérêt de plus en plus vif le groupe charmant formé autour de la Duchesse-Reine par les 59 dames et les 41 jeunes filles assurant le service de la souveraine, la plupart de très grandes maisons, et toutes choisies avec un soin raffiné pour leur grâce, leur beauté, leur souci d’élégance, leur adresse à faire valoir les splendeurs des toilettes de Cour, et aussi pour leurs qualités de cœur et d’esprit, leur instruction, leurs connaissances aux arts et aux lettres. Car Anne de Bretagne exige que, autour d’elle, la culture intellectuelle aille de pair avec les diverses perfections de la mondanité” dit Georges G. Toudouze

1505 : Jean de Laval a le coup de foudre pour une exquise jeune fille, nouvellement arrivée au service de la Duchesse Reine : Françoise de Foix. Une petite beauté, raffinée d’esprit et de culture, mais sans aucune pédanterie. Françoise de Foix est cousine d’Anne de Bretagne. Venue de l’Ariège, elle est la fille d’un noble, Jean de Foix, seigneur de Lautrec, et de sa femme Jeanne d’Aydie, héritière du Comte de Comminges. "Quoi qu’elle sortit à peine de l’enfance, et qu’elle ne fust que sur sa douziesme année, sa beauté estoit si achevée qu’elle enlevoit les cœurs. Une taille avantageuse et qui se perfectionnoit de jour en jour ; un air engageant mêlé de fierté et de douceur ; des cheveux noirs et en grande quantité qui relevoient la blancheur et l’éclat de son teint ; cela joint à un esprit aysé, juste, fin, de bon sens, qui commençoit à briller, la rendoit la plus rare et la plus belle personne du siècle".

Françoise de Foix a 11 ans à peine, Jean de Laval a dix-neuf ans. La jeune fille est noble mais pauvre. Le jeune homme est possesseur d’une des plus grosses fortunes de Bretagne. Mais qu’importe. Anne de Bretagne a une règle ne supportant aucune exception : ceux qui se plaisent doivent s’épouser. Alors le 4 septembre 1505, à Morlaix, la souveraine fait célébrer les fiançailles de Jean et de Françoise. A cette dernière, elle attribue une dote de 20 000 livres, prise sur les revenus des finances de Bretagne. Chose extraordinaire pour l’époque, Jean et Françoise partent aussitôt pour le manoir de Châteaubriant, fiancés mais non mariés, vivant en quelque sorte en union libre. Une fille, Anne, nait de cette union en mars 1507. Le mariage officiel des deux jeunes gens n’eut lieu qu’en 1509.

 LA BAGUE DU SORTILÈGE

1514, mort d’Anne de Bretagne. 1515, mort de son époux, le roi Louis XII. La France a un nouveau roi, François d’Angoulême, qui devient François Premier. Celui que le peuple appellera "François Cœur de Lion" et qui aimait se dire "Le roi-Chevalier", bouleverse la vie à la cour, délaissant son épouse Claude, pour ce qu’il appelle lui-même "sa petite bande" une étincelante compagnie de jeunes femmes, jolies, spirituelles et assez faciles en morale et en actes. Parmi elles ne figure pas Françoise de Foix qui coule des jours paisibles et austères en son château de Châteaubriant.

Francois 1er , le roi-galant, ne néglige pas pour autant la politique et sa réflexion porte sur un problème délicat : la question bretonne. Malgré le mariage d’Anne de Bretagne avec le roi de France Charles VIII puis avec le roi de France Louis XII, la Bretagne reste un Etat souverain, libre de s’allier, à égalité, avec la France, ou de s’en séparer.

François 1er est marié avec Claude, Duchesse de Bretagne, fille d’Anne de Bretagne. Mais cela ne lui suffit pas. Il rêve d’attirer à sa cour les barons bretons et parmi eux ce Jean de Laval, seigneur de Châteaubriant, propriétaire des baronnies de Châteaubriant, Derval, Candé et Malestroit ; des châtellenies de Chanzeaux, Vioreau, Nozay, Issé, Teillay et Bain ; et des seigneuries de Jans, Guémené, Beauregard, Le Theil, Combourg, Châteaugiron, Amanlis, Fougeray, Guildo, Beaumanoir, La Hardouinaye, Le Bodister, Les Hughetières en Retz et Le Langoët. Soit 24 domaines, d’une importance politique considérable, car assis mi-partie en Bretagne, mi- partie en Anjou, lien naturel entre le royaume de France et le Duché de Bretagne.

Madame de Chasteaubriant

Au lendemain de la Victoire de Marignan, les Châteaubriant, mari et femme, font leur entrée à la Cour de France. Cela ne s’est pas fait facilement, si l’on en croit le récit de Antoine Varillas, auteur en 1685 d’une Histoire de François Premier. D’après lui, le roi avait invité Jean de Laval , à plusieurs reprises, à venir à la Cour de France avec sa jeune femme Françoise. Mais le sire de Châteaubriant s’y refusait, faisant passer sa femme "pour une beauté farouche qui estoit impossible d’apprivoiser". Indication bien propre, on s’en doute, à aiguiser le désir du roi-galant. Alors le roi insiste. Il se fâche. Il ordonne. Jean de Laval doit obéir. Mais il se rend seul à la Cour, ayant inventé “un expédient capable d’éviter les importunités du roi sans s’oster la liberté de mander sa femme quang il lui plairoist".

Cet expédient est digne des plus beaux contes de fées. En effet, Jean de Laval avait fait fabriquer deux bagues identiques. L’une pour lui, l’autre pour Françoise, avec cette consigne impérative : n’ajouter foi à aucune lettre de lui si, dans le pli, ne se trouvait la bague emportée par lui-même.

Voilà Jean de Laval à la Cour du Roi. Et Françoise de Foix en son Château de Châteaubriant. Le Roi réclame Françoise, ordonne de la faire venir. Jean de Laval s’empresse d’obéir. Il écrit à Françoise, mais n’y joint pas la bague. Françoise ne vient pas. Le roi insiste. Jean écrit à nouveau, sans y mettre le signe convenu. Françoise ne vient pas. Et le jeu dure ainsi longtemps, jusqu’à ce qu’un valet vende au roi le secret du sortilège. On devine la suite : une nouvelle lettre de Jean à Françoise, le roi fait intercepter le courrier et y glisse une exacte copie de la bague. Le signe convenu est là, Françoise fait ses bagages et se présente à la Cour où elle est accueillie avec ravissement par le roi et avec stupeur par son mari, qui comprenant qu’il a été joué, "partit sur le champ pour retourner en Bretagne, de peur d’estre témoin de sa honte".

AU ROY MON SOUVERAIN SEIGNEUR

Syre, la lybéralité qu’yl vous a pleu me despartyr de la brodeure que j’ay reseuee par ce porteur, ne vous puis randre graces sufysantes, mes les plus tres humbles qu’il m’est possyble les vous présante, avecque conefiance de la perpetuelle servytute et oblyguasion de messieurs de Lautrec, de Châteaubriant et myenne, de seulx de nos maisons presans et avenyr, des biens resus et de la bonne voullanté que nous faistes l’honneur m’escrypre qui vous playt avoyr à nous, qui est et peult la perfection de nos desyrs. De ma part, syre, ne puis que prier celuy qui despart les puisances leurs donner l’heur de vous faire servyces agréables, en lieu qu’il ne cest provenir que de la seulle affecsion, de laquelle ly fays requeste, syre, qui vous doint bonne vye en longueur très heureuse, et tenyr en vostre bnne grace pour tres humblement recommandée.
LA PREMIERE LETTRE DE FRANCOISE DE FOIX. Document extrait du livre de Georges G. TOUDOUZE .

L’histoire de la bague est-elle vraie ? Ou inventée par un historien en mal de romanesque ? Ce qui est sûr c’est que l’austère Jean de Laval avait tout à craindre à voir sa femme au premier rang des Dames de la Cour d’un Roi à la galanterie intrépide.

REPÈRES

  • FRANCOISE DE DINAN - mariée à Guy XIV, comte de Laval - gouvernante d’Anne de Bretagne,
  • JEAN DE LAVAL - petit fils de Françoise de Dinan - fils de Françoise de Rieux - marié à Françoise de Foix
  • FRANCOISE DE FOIX - cousine d’Anne de Bretagne - mariée à Jean de Laval — maitresse de Francois 1er, roi de France
  • FRANCOIS PREMIER - roi de France, successeur de Louis XII - fils de Louise de Savoie - marié à Claude, fille d’Anne de Bretagne - amant de Françoise de Foix puis d’Anne de Pisseleu.

Tout de suite, entre Françoise de Foix et François Premier, ce fut le coup de foudre. Irrésistible. Mais le roi doit conquérir la belle. D’abord il offre à son mari, Jean de Laval, le commandement de 40 hommes d’une Compagnie d’ordonnance du Roi . Puis il nomme "Gouverneur de Milan", le frère ainé de la dame , Monsieur de Lautrec. Enfin il offre à la belle Françoise de Foix, un objet d’art, une broderie, qu’il lui fait porter par messager spécial. Et Françoise lui répond par une lettre, remerciant à la fois pour la broderie et les avantages accordés à Jean de Laval et à Monsieur de Lautrec. “Lettre combinée avec une adresse consommée : respectueuse dans un rien de désinvolture, annonçant la possibilité acceptée d’un accord discret entre deux candidats amants que la montée d’un fleuretage de plus en plus pressant liera dans un avenir certainement tout proche"

Deuxième message du Roi. Deuxième réponse de Françoise de Foix. Car c’est "Françoise de Foix" qu’elle signe, et non pas Françoise de Châteaubriant, comme si elle voulait rayer dix ans de sa vie et redevenir, pour le royal amant qui s’approche, la jeune Ariégeoise en fleur, qui, jadis, arrivait de sa province natale.

François est fou d’amour et la Cour tout entière, cachant sous les sourires la déception des uns et la jalousie des autres, salue l’astre nouveau, "la mye du Roi“.

Jean de Laval

Jean de Laval est furieux, d’autant plus que les amants s’affichent, par exemple durant les fêtes somptueuses du Camp du Drap d’Or, en 1520. Jean de Laval , jaloux, ne se résigne pas et l’historien Michelet va jusqu’à dire qu’il “soulageait sa rage par des violences bourgeoises et des corrections manuelles ", bref qu’il battait sa femme comme un vulgaire manant. Histoire vraie ? Légende encore ?

En butte à la rancune et aux violences, au moins verbales de Jean de Laval, son mari, Françoise de Foix se heurte en outre à la mère du Roi, Louise de Savoie. Et celle-ci veille, prête à arracher son fils à sa maitresse ironique et triomphante.

1520 Jean de Laval est à Châteaubriant où il fait construire le “Chateau-Neuf". Françoise est restée à la Cour du Roi.

 LA MORT EN CE PALAIS

1521, le 6 janvier, le Jour des Rois. On s’amuse beaucoup à la Cour et on fait les fous. Soudain, quelqu’un lance un tison enflammé , le roi est frappé à la tête et s’effondre, brûlé profondément. Il restera malade pendant deux mois, veillé par sa mère Louise de Savoie, rigide et autoritaire au point d’obliger Françoise de Châteaubriant à rentrer sur ses terres. Et puis, en avril 1521, le drame à Châteaubriant : Anne, la fille des chatelains meurt et est enterrée au Couvent de la Trinité et François 1er s’en vient à Châteaubriant rendre visite à sa “mye“ à l’occasion du plus barbare des deuils .

Jean de Laval et Françoise de Foix retournent alors à la Cour de France. Le premier pour y recevoir un commandement dans les Ardennes, la seconde pour reprendre sa place de "dame d’honneur de la reine" et de favorite du roi .

Mais les nuages s’accumulent sur la France qui est menacée d’encerciement par Charles Quint et les Habsbourg, maitres de la Flandre, de l’Allemagne, de Naples, La Sardaigne, la Sicile, l’Espagne et l’empire colonial espagnol. Et cette circonstance perdra la favorite. D’abord son mari, Jean de Laval, se laisse arracher Mouzon, dans les Ardennes. Ensuite les trois frères de Françoise de Foix sont battus, l’un en Navarre, l’autre dans Crémone (Italie) et le dernier à Milan. La favorite est perdue, dit-on dans l’entourage du roi.

Mais Françoise fait face, défend son mari et ses frères, plaide et gagne leur cause . François 1er leur rend sa confiance. Et comme la France est victorieuse en 1524, tout s’arrange : Sauf que le roi se laisse griser par ce succès et s’engage, avec enthousiasme, dans une campagne de conquête de l’Italie... qui se termine avec la bataille de Pavie le 24 février 1526. François ler est prisonnier de Charles Quint . La Dame de Châteaubriant s’en retourne retrouver son château et son mari, tout en échangeant une abondante correspondance avec son amant prisonnier. Celui-ci, par le traité de Madrid (janvier 1526), retrouve sa liberté, non sans avoir abandonné à Charles Quint, la Bourgogne, la France-Comté, l’Artois, Arras, Lille , etc, et non sans avoir promis d’épouser la soeur de Charles Quint (Francois 1er est veuf depuis 1524).

François 1er est libre. François 1er rentre en France. Pour accourir près de lui, Françoise de Foix n’attend qu’un signe. Mais ce qu’elle ignore, c’est qu’il y a dans l’entourage de Louise de Savoie, une jeune fille noble de Picardie, Anne de Pisseleu, d’une extraordinaire beauté et âgée seulement de 18 ans . Anne de Pisseleu est aussi blonde que Françoise de Foix est brune. Entre les deux le combat sera sans merci, même si le mordant s’écrit en vers :
Blanche coulleur est bientost effacée,
Blanche coulleur en un an est passée,
Blanche coulleur doibt estre mesprisée,
Blanche coulleur est à sueur subjecte
Blanche coulleur n’est pas longuement necte
Mais le tainct noir et la noire coulleur
Est de hault prix et de plus grant valleur

écrit Françoise de Foix qui se vante d’être noire et belle alors que sa jeune rivale est pâle et blonde .

Mais François 1er, poussé par sa mère, Louise de Savoie, qui tient enfin sa revanche, a choisi : la femme de 30 ans passés, qui ne peut plus offrir au maitre que beaucoup de souvenirs et peu de nouveautés, doit disparaitre devant la fille de 20 ans qui apporte avec elle l’avenir et l’inconnu . François 1er propose quand même à Françoise de Foix de la garder près de lui, parmi d’autres amies évidemment. Mais la dame de Châteaubriant repousse pareille idée infamante et s’en retourne en son château, avec dignité, non sans mettre les rieurs de son côté en adressant au Roi un “huitain" mordant que toute la cour répète, de bouche à oreille .

1528, Françoise de Foix est chez elle. Elle a quitté la Cour par fierté, mais elle conserve la protection du Roi pour sa famille. En 1531 par exemple, Jean de Laval est nommé Gouverneur de Bretagne, c’est-à-dire le Représentant du Roi en Bretagne, une sorte de vice-roi, arbitre sans appel de tous les cas litigieux et ne devant rendre des comptes qu’au roi seul. Châteaubriant devient ainsi une manière de capitale administrative de la Bretagne et c’est la grande vie de château qui se déroule en cette ville, à longueur de semaines.

 LES JOYAUX FONDUS

Françoise est là, tantôt en sa "chambre dorée !" tantôt dans les jardins et les vastes salles de réception du château. Mais elle n’oublie pas son amour pour François 1er et jette sa douleur infinie sous forme d’une élégie en vers. Mais elle n’est pas au bout de ses peines. "J’ay ouÿ conter que lorsque le roy François premier laissa Mademoiselle de Chasteau-Briand, Madame d’Etampes (c’est-à-dire Anne de Pisseleu) pria le Roy de retirer à ladicte Madame de Chasteaubriand tous les plus beaux joyaux qu’il lui avoit donnez, non pour le prix et la valeur (..) mais pour l’amour des belles devises qui estoient mises, engravées et empreintes" .

Le Roi François s’incline et envoie dans ce but un messager à Châteaubriant. Françoise de Foix, de dépit, "envoya quérir un orfèvre et luy fist fondre tous ses joyaux sans avoir respect ni acception des belles devises qui y estoient engravées", Françoise de Foix renvoie ses bijoux au roi, sous forme de lingots d’or . "Pour quant aux devises, je les ay si bien empreintes et colloquées en ma pensée, et les y tiens si chères, que je n’ay peu permettre que personne en disposast, en joüist et en eust de plaisyr, que moi-mesme". Une fois de plus, à la Cour du Roi, les rieurs apprécient la rudesse spirituelle de ce camouflet adressé au roi et à sa favorite de l’époque .

En 1532, François 1er a des affaires à régler en Bretagne et le 14 mai, il s’installe à Châteaubriant. Il s’y trouve si bien qu’il y demeure 6 semaines et Françoise est transportée de joie. Son mari, Jean de Laval l’est moins, de même que la mère de celui-ci, Françoise de Rieux, veuve austère. Mais Françoise n’en a cure et François Premier, repris d’une superbe flambée de tendresse est redevenu le plus empressé des amoureux. Et la Cour applaudit.

Mais François1er n’est pas là pour conter fleurette. Pendant son séjour, il édicte 139 ordonnances, Lettres et Mandements, allant des plus graves questions internationales, économiques et financières, jusqu’à des dispositions concernant la crise alimentaire et la dot des filles des gens de finance. Et puis le 22 juin 1532, il lui faut retourner à Paris.

 JEAN DE LAVAL est-il un assassin ?

Que devient alors la belle Françoise ? On l’a dit prisonnière en son château, prisonnière de son mari. Rien n’est moins sûr . Et puis brusquement, le 16 Octobre 1537 .... Madame de Châteaubriant est morte . Morte 7 ? Mais de quoi et comment ? Une maladie subite et si rapide ?

Morte le 16, enterrée le 23, cependant que le 26 sont signées par le roi les lettres concédant au Sire de Châteaubriant la jouissance des terres et seigneuries que Francois 1er avait offertes à sa maitresse. Jean de Laval, veuf affligé, se montrait ainsi un maitre calculateur . “Alors subitement, sans que personne sache tout d’abord ni de quelles bouches, un bruit court, rasant la terre, et soudain s’enfle et éclate en coup de tonnerre ... Monsieur de Châteaubriant est un assassin" raconte Georges G. Toudouze .

Assassin ? L’histoire est terrifiante. Depuis plusieurs semaines, Françoise aurait été séquestrée dans une chambre obscure tendue de draperies noires, où, à la lueur d’un unique flambeau funèbre, des servantes vêtues de noir lui auraient apporté de maigres plats eux aussi drapés de noir. Puis, une nuit, Jean, avec six hommes armés et deux chirurgiens, serait entré, surprenant dans son sommeil la malheureuse femme, maintenue tête, bras et jambes par ses soudards, à la lueur d’une torche ; et il lui aurait fait, par les deux chirurgiens, ouvrir les veines des poignets et des chevilles.

Est-ce vrai ? Qui étaient ces chirurgiens si obéissants ? L’opinion publique ne s’interrogeait pas et répétait la scène avec horreur, en l’amplifiant chaque fois un peu plus. On reparlait de la liaison de la belle avec le roi, liaison publique pendant 10 ans, on parlait de jalousie meurtrière à retardement, et ceux qui jalousaient le Baron de Châteaubriant parlaient d’une vengeance assouvie, retardée jusqu’à ce que Jean de Laval ait pu bénéficier de tous les cadeaux faits par le roi à l’époux de sa "’mye".

Le roi eut beau conserver sa confiance à Jean de Laval, les accusateurs poursuivirent leurs accusations jusqu’à la mort du Baron de Châteaubriant le 11 février 1543, âgé de 56 ans, “miné par le remords de son crime", dit-on, léguant son chäâteau au Connétable Anne de Montmorency . Pourquoi au Connétable Anne de Montmorency ? Pourquoi Jean de Laval a-t-il ainsi déshérité ses héritiers naturels en léguant ses immenses biens à son "ami" Anne de Montmorency ... "à celui qui fut son juge dans une affaire de vol par prévarication et qui l’acquitta ... à celui qui serait encore son juge si l’affaire de l’assassinat supposé entrait dans la voie judiciaire" explique Georges G. Toudouze. Est-ce donc le moyen "de se tirer de la poursuite qu’on faisoit contre luy pour la mort de sa femme dont il étoit accusé" ? C’ést ce qu’on disait par mille allusions à la cour .

 UNE TACHE et UN FANTÔME

Un crime vraiment ? C’est là que la légende rejoint l’histoire. Mais qu’est-ce qu’une légende ? sinon "une vérité, vue à travers une série de tempéraments" dit G.G. Toudouze . Ici la légende repose sur une tache et un fantôme.

Château de Châteaubriant

La tache, c’est celle faite par le sang de Françoise de Foix, sur le plancher de sa chambre, entre la cheminée monumentale et la porte du petit oratoire. Et qu’importe si des incrédules osent affirmer que le concierge du château, chaque année, ravive cette tâche avec un peu de peinture ...

Le fantôme, lui aussi, est bien réel. Il revient sans exception tous les 16 octobre, à minuit, accompagné de Religieux du Couvent de la Trinité et des Moines de St Michel et de Béré. Il y a aussi des chevaliers en armes, et Anne de Laval, et François 1er tenant Françoise de Foix par la main. Et, derrière, six démons cornus entraînent Jean de Laval et l’obligent à baigner ses pieds dans le sang de la tache brusquement redevenu liquide .

Si ! c’est vrai, des tas de gens l’ont vu depuis 450 ans.

 LA DAME DE VIOREAU

Echo de la fin tragique de Françoise de Foix ? Il reste encore en pays castelbriantais la légende de la Dame de Vioreau. Le domaine de Vioreau, château, étang et forêts, a fait partie, un temps, de la baronnie de Châteaubriant, puisque Geoffroy IV, époux de Dame Sibylle, y rédigea un testament au milieu du XIII° siècle. Les Seigneurs de Châteaubriant s’y livraient aux plaisirs de la chasse et de la pêche en compagnie de leurs vassaux, les seigneurs de la Haie en Auverné, de la Chaussée en Moisdon, de la Rivière et du Maffay en Abbaretz. Ils y recevaient aussi les visites des moines de l’abbaye de Melleray.

Est-ce au cours de l’une des nombreuses fêtes que la Dame de Vioreau lia connaissance intime avec l’un de ses valets ? La liaison amoureuse fut brève et la dame en conçut un vif dépit, au point d’envoyer son amant, le jeune Franchaulet, porter un message au gouverneur du château de Nantes. "Pendez sans plus tarder le porteur de cette missive" avait écrit la Dame, en un moment de rage. Heureusement, le Seigneur de Vioreau s’était douté de quelque chose et avait rejoint Franchaulet, à la prison de Bouffay, avant que la sentence n’ait eu temps d’être exécutée. "Dis-moi tout et je te ferai la vie sauve" lui dit-il. Et le drôle vendit sa maitresse.

Quelques temps après, le sire de Vioreau se rendit avec son épouse au château de Blain où il y avait de très grandes réjouissances et il la fit danser, tant et tant et si bien, qu’elle s’écroula hors d’haleine et tout en sueur sur le siège de pierre d’une des fenêtres de la grand’salle. C’est là qu’elle contracta le froid mortel qui devait l’emporter sans tarder. Le sire de Vioreau, la joie dans l’âme, récompensa Franchaulet en lui donnant la terre sur laquelle il était né.

 LA BELLE DE BÉRÉ

Qui parcourt la cité castelbriantaise, avec ses trottoirs bien nets, ses rues éclairées et ses vitrines illuminées, ne peut se figurer ce qu’elle était autrefois quand les arrivées des maisons étaient tellement remplies de boues que l’accès en était incommode le jour et dangereux la nuit, quand "les pavés du dehors" étaient si ruinés "qu’il y a très grand danger pour les cavaliers, chevaux et voitures, vu la profondeur du fossé" rapporte Charles Goudé qui donne de multiples exemples

“L’endroit qui est vis-à-vis le bastion, appelé la tour du four, est tellement dangereux pour les carrosses, litières et charrettes, qu’il n’en passe guère sans se renverser avec danger pour la vie de ceux qui sont dedans. Sur la route du messager de Rennes, et de toute la province pour aller à Angers, il n’y a ni carrosse ni charrette qui y puissent passer. Enfin,. le passage qui est sur la route de Paris à Nantes est si dangereux en tant d’endroits, qu’il s’y est blessé et tué plusieurs personnes et Monseigneur le Premier Président en sait quelque chose car à chaque fois qu’il y passe, il est obligé de se mettre à pied pour éviter le danger”

Après cela, il ne faut pas s’étonner si Mme de Sévigné écrit quelque part dans ses lettres qu’elle évite de passer par Châteaubriant parce que, dit-elle, on n’en sort pas.

A l’intérieur de la ville, partout, la malpropreté s’étalait. N’a t-on pas dit que les Castelbriantais se servaient de leurs rues et de l’étang de la Torche comme d’une vaste poubelle ? La ville n’a eu longtemps comme point d’eau que le puits de la place de la Pompe. "Mais soit que les conduits vinssent à s’obstruer, ou l’eau à se corrompre, il fallut que toute la ville allât chercher de l’eau potable à la Fontaine de la Vannerie. Or, l’on ne pouvait y arriver qu’à grand peine, tant étaient profondes et nombreuses les mares d’eau croupissantes qu’il fallait traverser pendant le chemin". Plus tard, on fit un autre puits sur la place du Champ de Foire (place St Nicolas) mais on le laissa boucher par les eaux et le sable qui l’environnaient. || se passa deux ans avant qu’on püt y faire les réparations nécessaires : la ville n’avait pas d’argent .

Qui parcourt maintenant la campagne castelbriantaise, avec ses larges routes, ses haies bien taillées, ses vastes prairies rasées de près, ne peut se figurer ce qu’elle était autrefois. L’agriculture était très pauvre, les landes et les forêts couvraient largement le pays. Elles étaient la propriété du seigneur mais les pauvres gens pouvaient y faire paitre de nombreux troupeaux de moutons presque noirs, si petits que de loin les voyageurs les prenaient pour des bandes de corbeaux descendus dans la plaine. Les paysans ne cultivaient guère que l’orge, le seigle et l’avoine et encore ces cultures se faisaient-elles pauvrement car le paysan n’avait d’autre engrais que celui que produisaient ses bestiaux ce qui le forçait à n’ensemencer que la moindre partie de ses terres .

Dans ce pays pauvre, à côté du luxe des chatelains et seigneurs, les gens vivaient pauvrement . Les seules distractions étaient les fêtes religieuses, pélerinages et processions, la traditionnelle Foire de Béré et les veillées qui réunissaient les gens d’un même village autour de l’âtre où brülait une bonne fouée de menues racines. Là se racontaient les contes et légendes du Pays de Châteaubriant.

Il y était question d’animaux fabuleux ou effrayants, de trésors cachés, de sorts et de sorciers, de filles qui disparaissent ou reviennent tout soudain...

L’animal le plus célèbre, celui dont on parle encore et dont les esprits-forts eux-mêmes ne nient pas l’existence, c’est la BETE DE BÉRÉ . Elle sévit dans le quartier de Béré, aux portes de l’ancien couvent St Sauveur, mais on peut la trouver plus loin, jusqu’aux Landelles à Erbray où au Dougilard en Soudan.

Il était une fois, il y a 700 ans peut-être, un moine du Prieuré St Sauveur qui s’éprit d’une jeune paysanne des environs. Leur amour, si pur pourtant, ne pouvait que troubler les braves paroissiens. Le prieur obtint donc le départ du moine pour un autre monastère et persuada "La Belle de Béré" de s’éloigner aussi. C’est ce que disent les incrédules .

Mais la vraie vérité, la voilà : le prieur, jaloux de son moine, attira la Belle de Béré au couvent où elle se languit et mourut. Elle est enterrée sous le clocher de l’église et la Bête de Béré est chargée d’éloigner les indiscrets.

Si ! c’est vrai, et tous les vieillards vous diront qu’à minuit les cierges s’allument d’eux-mêmes dans l’église de Béré et qu’un prêtre de l’autre monde y célèbre une messe funèbre . D’autres ont vu, une veille de Noël, apparaître une forme blanche, environnée d’une lumineuse auréole, une gracieuse enfant aux longs cheveux blonds tombant sur les épaules . Mais la Bête de Béré veille et gare aux esprits trop curieux.

 LA BÊTE DE BÉRÉ

La Bête de Béré prend parfois l’apparence d’un chien aux longs poils gris ou noirs . Ou celle d’un porc vautré au creux d’un fossé et grognant à votre approche. D’autres fois elle semble un chat jucqué sur les héris à pourceaux, ou un poulain au galop inégal, ou une bique qui dévale d’un talus, les tétines trainant par terre. Marie Glédel, après son Credo, vous en parlera “Je la vis qui s’apparut à moi, comme je sortais. Elle était grosse, grosse et toute noire . Elle se mit à me suivre et à courir après moi ; que j’arrivis tout essouflée chez le gars Jean qui vint me reconduire : pourquoi je lui donnis un de mes bonbons, tant j’avais peur !" . Il faut la croire, Marie Glédel. Ce n’est pas une fanatique ni une visionnaire.

Et puis, Marie Guérin, de la Mercerie, la vit aussi un soir. "La Bête parlait et menaçait. Ce jour-là elle était blanche, bien longue, et grande comme un gros chien". Une autre fois, c’est Yvon Gérard, un fort gaillard de la Bricaudière , qui l’a rencontrée, à l’autre bout du pont rustique sur la Chère, à hauteur du Moulin Neuf : un gros mouton gris semblait disposer à lui barrer le passage. L’homme et la Bête luttèrent longtemps, au corps à corps, jusqu’à ce qu’ils arrivent à une sorte d’échalier contre laquelle la Bête acculée ne pouvait se mouvoir. "Tu m’as vaincue aujourd’hui. Lâche moi donc. Mais que je ne te trouve pas une autre fois sur mon passage, et garde-toi de sortir après le soleil couché" lui dit-elle avant de disparaitre. Quelques temps après, le téméraire Yvon en mourut, de fatigue et de terreur, plus que de maladie .

La Bête de Béré se promène souvent dans les carrois des cantons. Et qu’importe si ces carrefours s’appellent Allée des Soupirs, Rond des Dames ou Avenue de la Comtesse : la Bête de Béré ne respecte rien. On la trouve même blottie au pied des croix, attendant ceux qui, enhardis par les fumées du cidre, la cherchent pour se mesurer avec elle. Noël Biton, le bûcheron de la Forêt Pavée, un charbonnier d’une force et d’une taille peu ordinaires, en perdit la voix et rentra chez lui, ruisselant de sueur et les membres brisés. Huit jours après il était mort.

Peu d’hommes ont réussi à lui échapper quand elle voulait les noyer dans le ruisseau de la Galissonnière, ou dans l’étang de la Courbetière, ou dans une simple mare. Une fois, il y a fort longtemps, les hommes de la Brichetière, de Montbarron, et du Petit Chêne, en Issé, se réunirent un soir, armés de fourches, de faulx et de hansards. Avec des scapulaires au cou, des chapelets dans les poches et du romarin bénit à leur chapeau, ils allaient chasser cette bête fantastique, qui tous les soirs poussait des cris et des hurlements et passait son museau par dessus le husset pour voir dans les maisons. Ils étaient une douzaine, réconfortés par quelques gouttes d’eau de vie de cidre : ils ont couru toute la nuit, d’un bout de la commune à l’autre, des cris épouvantables venaient de tous côtés à la fois. La Bête était ici, et là-bas en même temps, les menant à travers haies, fossés et échaliers, du Petit-Chêne aux Rottes-Besniers, des Voyettes-Pineau au pré du Quenard, du moulin de Montbarron ou l’Hôtel Jublin, et toujours ainsi.

Du côté de la Quoue-de-l’Eau et de la Fontaine-à-Madame, les chasseurs attendaient, immobiles, les mains crispés sur le manche de leurs fourches, les yeux dans toutes les directions, quand un hurlement formidable, épouvantable, qui emplit toute la calotte du ciel, partit de dessous leurs pieds. Terrorisés, les paysans s’enfuirent.

Il faut tout de même dire que, parfois, la Bête de Béré se montrait conciliante. Elle ne fit qu’accompagner Pierre Roul, de la Guimorais en Meilleraye. Pendant un an, elle fit tous les voyages de Châteaubriant à Nantes dans l’un des paniers de la charrette de Julien Salmon.

De tous ceux qui s’affrontèrent à la Bête, le plus célèbre est le gas Renaud Houlard, de la Palissonnière, La Bête le terrassa si rudement qu’il chut sur le sol dur et déchira au genou son pantalon. Mais contrairement aux autres, il vécut longtemps après et conserva comme une relique le pantalon qu’il portait ce soir-là.
Adoncques-maintenant, si vous passez le soir par quelque chemin creux, qu’il fasse nuit ou pleine lune, ne vous achommez point trop si vous trouvez la Bête à carbi-carbaud sur un pont ou un pâlis, car tous ceux qui ont lutté contre elle s’en sont trouvé vaincus, meurtris, navrés .

BRASDANE LE GAROU La forêt de Domnesche, dit-on, recelait de féroces loups-tigres qui s’attaquaient aux bücherons et aux promeneurs, surtout aux enfants .

(lire à ce sujet l’article : légendes du pays de Châteaubriant)


SOURCES ESSENTIELLES Nous empruntons les faits aux livres de

  • Charles GOUDÉ (1870) Histoire de Châteaubriant, baronnie, ville et paroisse
  • Joseph CHAPRON (1928) Contes et légendes du pays de Châteaubriant
  • Marcel BUFFÉ (1982) : Châteaubriant, une cité dans l’histoire. Ce dernier ouvrage, très fouillé, est particulièrement remarquable et doit intéresser tous les Castelbriantais.
  • Georges G. TOUDOUZE : Françoise de Châteaubriant et Francois Premier . Ouvrage malheureusement épuisé.
  • Yann BRÉKILIEN : Histoire de la Bretagne
  • Joseph CHAPRON contes et légendes du Pays de Châteaubriant 1928
  • Charles GOUDÉ Histoires et légendes du Pays de Châteaubriant 1927
  • Arsène BREMONT Châteaubriant et ses légendes paru dans le bulletin de liaison des Etablissements Huard