Le Courrier de Châteaubriant du 7 juillet 1944
D’après Le Courrier, les assaillants [c’est à dire : les anglo-américains !] ont réussi à prendre Cherbourg, mais plusieurs percées réalisées par eux ont été aussitôt réduites par la contre-offensive allemande. « A la stratégie anglo-américaine du front de Normandie, les Allemands opposent une tactique de souplesse et d’ingéniosité et (…) le moment venu, une riposte foudroyante interviendra ».
Le Courrier doit reconnaître l’âpreté des combats sur le front de l’Est, « un front large de 400 km et profond de 200 », et en Italie où l’armée allemande a évacué la ville de Sienne, « afin d’éviter la complète destruction de ses monuments historiques ». Après le robot aérien des Allemands, voici la DCA flottante, « constituée sur des vieilles unités de marine de guerre. Vue de loin une batterie flottante de DCA fait l’impression d’un hérisson géant qui nage à la surface des flots avec ses piquants tournés en haut, prêts pour la défense »
Le Courrier annonce qu’au cours des six premiers mois de 1944, 8 164 bombardiers anglo-américains (dont 6407 bombardiers quadrimoteurs) ont été abattus au cours d’attaques effectuées soit contre les territoires allemands, soit contre les territoires occupés. « En juin l’adversaire a subi les pertes les plus élevées avec 2 007 appareils abattus ». La DNS estime à 12 700 000 hommes le nombre de Russes tués sur le front et à 93 420 chars, 88 646 canons dont 35 810 antichars et 4266 pièces de DCA [Ndlr, DCA = Défense contre avions]. Cinq millions de Russes seraient prisonniers.
Philippe Henriot a été tué le 28 juin 1944 : le Courrier raconte ses obsèques nationales le 1er juin à Notre-Dame de Paris « 100 000 parisiens environ défilèrent devant la chapelle funèbre ». Le gouvernement a mis 20 millions à la disposition des services de police pour favoriser la découverte de ses meurtriers.
Saffré
Pour une fois le Courrier évoque les drames locaux en disant : « 30 jeunes Français, qui étaient groupés dans un camp du maquis près de Saffré et qui entretenaient des relations avec les Anglo-Américains, ont été arrêtés à la suite de combats. Ils ont été condamnés à mort ,pour avoir déployé une activité de franc-tireur, par un tribunal de guerre allemand. Ils ont été immédiatement passés par les armes ».
Le Courrier s’étend davantage sur le passage à Châteaubriant de la statue de ND. de Boulogne, en négligeant de signaler que des jeunes de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) ont peint, ce jour-là, une carte de France sur la Place St Nicolas, aux couleurs de la Patrie. [Cette carte tiendra une année ! ]
Avis à la population : il est expressément défendu d’enlever ou de briser toute plaque indicative placée aux carrefours des routes ou autres endroits par les troupes d’occupation.
Plusieurs producteurs n’ayant pas livré au Ravitaillement général les quantités de produits de basse-cour qui leur avaient été demandées au titre d’impositions, ont été sanctionnés au Petit-Auverné, St Julien de Vouvantes, St Vincent des Landes et Puceul. Les amendes vont de 1900 fr à 14 000 fr.
Les bons de ficelle-lieuse sont à la disposition des ayants-droit.
« La fabrication et la vente des crêpes et galettes de sarrazin est interdite à partir du 26 juin, ainsi que la fabrication et la vente des pâtisseries, biscuiterie, chocolaterie et glaces. Des arrêtés préfectoraux pourront toutefois rapporter l’interdiction portée contre la vente et la fabrication des crêpes et galettes si les approvisionnements en combustible le permettent ».
Le Courrier du 14 juillet 1944
Le Courrier cite le Dr Goebbels qui commente : « Sur le front d’invasion, les événements ont confirmé les attentes du commandement allemand. Au prix des sacrifices les plus lourds, les Anglo-Américains ont à peine réussi à prendre pied sur une étroite bande de terre du sol européen. La bataille décisive reste encore à venir. Maintenant que le bolchevisme se tient aux portes de l’Europe, les avantages des vastes territoires conquis à l’Est apparaissent nettement . Ils permettent de résister à la supériorité de l’ennemi tant que le Reich lui-même est en péril. L’ennemi n’a pas réussi à briser par la terreur aérienne le moral du peuple allemand ni à arrêter la production de guerre de notre industrie ».
Le Courrier raconte que la bataille fait rage en Basse-Normandie. On comprend, à demi-mot, que les Allemands résistent moins qu’on ne le dit. « Sur le front de l’Est le nombre de divisions allemandes est très inférieur à celui des divisions soviétiques ». Sur le front d’Italie, « les Anglo-Américains n’ont pu réaliser, au cours des dernières vingt-quatre heures, qu’un faible gain de terrain en direction du Nord ».
« En un mois les Anglo-Américains ont perdu 1059 chars, 56 navires marchands, 42 unités de guerre, 1655 avions.(…). 600 prisonniers anglo-américains, capturés sur le front de Normandie, sont passés par Paris. Une foule hostile a manifesté contre eux. (…) 239 terroristes sont exécutés en territoire français ». Le Courrier n’évoque pas l’attaque de maquisards par les Allemands à la Brosse (Sion-les-Mines) le 11 juillet 1944.
Bombardement
Châteaubriant a connu de nouveaux bombardements le 24 juin 1944 et le 7 juillet. « Celui du 7 juillet, ne fut pas moins important. Il dura environ une heure et demie et sema sur la ville un grand émoi. Dans le quartier atteint à plusieurs reprises, une bombe atteignit notre vieux château, joyau d’architecture et gloire de Châteaubriant et fit dans ses flancs une blessure profonde et irréparable (…) ».
Et le Courrier continue : « Par bonheur, malgré la violence de l’attaque, on n’eut aucun mort et aucun blessé à déplorer ce jour-là. Une bombe, tombée dans une rue éloignée où s’étaient retirées plusieurs personnes, a saccagé un jardin mais ne fit non plus aucune victime. La Providence a veillé sur nous ».
Le Courrier publie un article « Pour lutter contre les bombes incendiaires » : « les couvrir avec du sable, de la terre ou des cendres afin d’arrêter leur combustion (…) Pour les bombes au phosphore, le meilleur moyen est d’avoir recours à du sable humidifié ou à de l’eau seule ».
A cause des bombardements, les services du Tribunal, du Greffe et de Parquet sont transférés à l’école de la Trinité (rue de Rennes).
Le Courrier publie en outre un « petit guide du Sinistré » en utilisant les lois du 12 juillet 1941, du 8 novembre 1941 et du 7 octobre 1942 : « L’Etat prend à sa charge les travaux de déblaiement et d’arasement. Il aide le sinistré partiel ou total à réparer ou à reconstruire l’immeuble atteint ou démoli. Le concours financier de l’Etat est fixé à 80 % du taux de construction (ce taux peut atteindre 90 % pour les immeubles d’une valeur de construction inférieure à 300 000 francs). C’est le Commissaire à la Reconstruction – et non le Sinistré – qui fixe les dates d’ouverture et de clôture de la période de construction par région, par commune et par nature d’immeubles » (…) Le sinistré doit adresser une demande de subvention au siège du Commissariat, 2 rue des Dervallières à Nantes, sur des feuilles spéciales que l’on peut se procurer en mairie. Des dispositions spéciales sont prises concernant les immeubles industriels, commerciaux et artisanaux. Il existe aussi des allocations de sinistrés ».
A Châteaubriant les locaux sinistrés se trouvent Bois de Renac et Chemin de Launay, rue d’Angers, rue de Laval, rue de la gare, rue Kléber et rue des Vauzelles.
Le bureau du Syndicat des Marchands de Bestiaux a décidé de demander à chaque marchand un versement minimum de 300 francs au bénéfice des sinistrés de Loire-Inférieure. Le Secours National s’adresse aussi aux producteurs de lait, leur demandant une participation de 10 fr par vache laitière, « Participation volontaire bien entendu, mais qu’aucun des sollicités ne voudra refuser, en considération des détresses innombrables qu’elle est appelée à soulager ». Déjà les bouchers consentent, au bénéfice du Secours National, un versement de 2 fr par kilo de viande reçue de la Répartition. Les boyautiers, tripiers, tanneurs etc … ont eux aussi fait des dons importants.
Mais le Maire, Me Noël, s’interroge : « Aurons-nous assez de pain pour joindre la nouvelle récolte ? » et il répond : « Oui, à condition d’en diminuer la ration. En effet, le dépôt de farine en disponibilité à Châteaubriant est insuffisant pour assurer le ravitaillement en pain jusqu’à la soudure. Le Préfet a fait savoir à M. le Maire que la ville ne pouvait attendre à ce sujet aucun secours de l’extérieur. Après en avoir conféré avec les boulangers au cours d’une réunion qui s’est tenue le 12 juillet, le Maire a pris l’arrêté suivant, le lendemain :
Article I : les boulangeries ne seront ouvertes au public que les mardis, jeudis et samedis.
Article II : Elles ne pourront livrer à la consommation que du pain cuit depuis au moins 24 heures.
Article III : à partir du samedi 15 juillet 1944, les boulangers, sans pouvoir de ce fait augmenter le prix actuel du pain, devront exiger que les consommateurs leur laissent, au moment même de la fourniture du pain, une valeur de tickets double de la quantité de pain fournie.
Selon le Courrier, il reste bien entendu que ces dispositions seront rapportées aussitôt que les blés nouveaux battus et moulus le permettront.
Croix Rouge
Le Courrier informe aussi sur la réorganisation des services de la Croix-Rouge. « Pour mener à bien sa tâche de secouriste, de brancardier ou d’infirmière, il ne suffit pas d’être animé de la meilleure volonté ; voilà pourquoi, depuis quelques temps, une soixantaine des jeunes gens et jeunes filles suivaient tant à l’hôpital qu’aux Fougerays, avec un zèle qui les honore, les cours donnés sous la direction de MM. Le Dr Bernou, Delajousselinière et Bouchard ; et de Mademoiselle Varidel infirmière aux Fougerays ».
Le Cercle Catholique a été désigné comme siège de centre. « C’est là qu’en cas de bombardement et aussitôt la fin de l’alerte, devraient se rendre les membres de la Croix-Rouge pour organiser leurs équipes ». Le responsable local est M. Georges Vételé ; adjoints : MM. Delajousselinière et Soulis Louis ; Infirmière-conseillère : Mlle Leray ; assistante sociale : Mme Nouvel. Les membres sont répartis en trois équipes comprenant : un chef, un sous-chef, huit brancardiers, deux infirmières. « On étudie le moyen de constituer des équipes d’urgence qui pourraient, sans nuire à l’organisation des services de Châteaubriant, se porter au secours des localités voisines non munies de centre de Croix Rouge ».
Contre l’abus de l’emploi des insignes de la Croix Rouge, la Militarbefehlshbaber ordonne des peines d’emprisonnement. Le transport et la vente de fourrages sont interdits en Loire-Inférieure. En ce qui concerne l’abattage familial, seules les personnes ayant élevé des porcins, ovins ou caprins, ou les ayant engraissés pendant 2 mois, sont autorisés à en abattre pour leur consommation.
Bref, c’est la guerre ! Le Courrier rappelle qu’en juillet 1940, « le rassemblement national s’était spontanément opéré autour du Maréchal Pétain » - « Quatre ans ont passé. Qu’est devenu le bloc de l’unité, surgi dans un sursaut d’énergie et de clairvoyance, au lendemain de la défaite ? Voyez : les Anglo-Américains se sont partagé notre empire. Notre flotte n’existe plus. La guerre civile gronde tandis que la guerre étrangère ravage une de nos plus riches provinces. La France est écrasée sous les bombes. Nos richesses sont anéanties. Nos populations décimées. Tous les gages qui nous avaient été laissés en 1940 sont perdus. La France est par terre. Une intervention providentielle l’avait, en 1940, sortie l’ornière où 10 mois plus tôt elle s’était embourbée. Il en faudrait une autre aujourd’hui pour la tirer du gouffre où elle s’est précipitée ».
Ainsi le Courrier reste fidèle à Pétain et à sa politique …
Nous terminerons là ce récit : nous n’avons pas les parutions ultérieures. Si des lecteurs ont encore de vieux journaux traînant dans un grenier, qu’ils les communiquent à La Mée ! Merci.
Vers la Libération
Mais un drame atteint encore la région de Châteaubriant avec les exécutions sommaires de patriotes le 21 juillet 1944 à Bout-de-Forêt. Sur le front de Normandie, l’armée hitlérienne parvient à contenir les Anglo-Américains dans une longue bataille d’usure (bataille des Haies, bataille de Caen), jusqu’à ce que la percée
d’Avranches (31 juillet 1944) ouvre la voie de la Bretagne et prenne les troupes allemandes à revers en les encerclant dans la poche de Falaise. Châteaubriant et Rennes sont libérées le 4 août 1944, Angers le 10 août, Nantes le 12 août. Paris insurgée est libérée le 25 août 1944.
La progression se fait alors rapidement et, à la mi-septembre, presque toute la France et la Belgique sont libérées par les armées anglaises et américaines englobant quelques forces françaises, belges et hollandaises. Mais alors que les Alliés espéraient une fin du conflit avant la fin 1944, la défense allemande s’intensifie. La
contre-attaque allemande dans les Ardennes (Noël 1944) surprend totalement les Américains mais s’essouffle au bout d’une dizaine de jours. Elle contribue toutefois à retarder le passage du Rhin jusqu’à fin mars 1945. Écrasée sous les bombes, assaillie de tous côtés, l’Allemagne nazie voit sa capitale Berlin investie le 30 avril par les Soviétiques. Hitler s’y se suicide dans son bunker le même jour. Le 8 mai 1945, l’Allemagne capitule, ce
qui met fin à la guerre en Europe.
P.-S.
NB : Les extraits du « Courrier » publiés ci-dessus complètent le livre « Telles furent nos jeunes années » (300 pages) racontant la vie à Châteaubriant, la Résistance, la Déportation et la Libération. Disponible encore dans les librairies de Châteaubriant ou téléchargeable ici : http://www.journal-la-mee.fr/IMG/pdf/LivreMee.pdf