Ecrit le 22 décembre 2010
Peut-on rêver ?
Décembre 2027 dans la belle France éternelle des droits de l’homme et de la corruption : après quelques réformes constitutionnelles, l’inusable Monarque est devenu président à vie de la république héréditaire, à la Bongo ou Gbagbo. Tous les éléments de sa grande famille népotique (il en est à sa 5e femme légitime, onze enfants déjà grands et un nombre incalculable de petits-enfants et arrières, sans compter les courtisanes) ont forcément des postes importants dans tous les rouages des pouvoirs associés : économie, politique, justice, culture, médias. Tous les services publics ont été supprimés depuis longtemps et remplacés par des entreprises privées mondialisées : police, école, santé, religion, transports, communication.
Sur les 80 millions de Français, une bonne moitié continue à s’enrichir et vit sous haute protection numérique et bouclier anti-missiles, enfermée dans les grandes villes fortifiées. L’autre moitié, désargentée, a dû fuir dans les banlieues chaotiques, les campagnes abandonnées, les forêts déchiquetées, retournant vivre dans les grottes, les mines désaffectées ou les usines en friche.
Dans les cœurs ce n’est que désolation, les uns se méfient des autres, les uns envient aux autres les quelques menus avantages qu’ils leur imaginent. Le sens de Noêl n’est plus qu’un souvenir d’un passé très dépassé, du temps où, pour quelques jours au moins, on imaginait la joie pour tous les hommes de bonne volonté.
Avant d’être remplacée à l’Elysée, Clara avait donné à son tendre mari une fille aussi belle qu’elle, Maria la brune, adorée par son père et par toute la cour. Mais à l’adolescence, cette beauté, révoltée contre le système patriarcal et libéral, s’était enfuie à travers les lignes numériques et avait disparu au milieu du peuple des déracinés. Les services secrets, les plus efficaces de la planète, n’avaient jamais pu la repérer du haut de leurs drônes invisibles et silencieux.
Et voilà que quelques jours avant Noël, le Monarque apprend, sans doute par un ange miraculeusement épargné lors des nombreuses purges et autodafés, que sa fille chérie, Maria, enceinte des oeuvres d’un pauvre roturier au teint basané ou noirci, est prête à accoucher dans une grotte à la Lascaux, au milieu des animaux préhistoriques peints sur la paroi…
La neige est tombée tout le jour sur les bois de Ste Anne des Saints Lieux, au pays de Guénouvry-les-Palis, près d’une rivière sacrée, le Don joli, qui chaque année, dans la nuit de Noël, charrie des pièces d’or, au moment où les bêtes, dans les étables éclairées par cette obscure clarté qui tombe d’une étoile venue d’Ur ou de Jérimadeth, se mettent à parler. Un vieillard grisonnant, muni d’une lampe solaire, entre dans la grotte qui s’ouvre sous la statue de Ste Anne. A la faible lumière, il a cru reconnaître, à l’entrée, dans la vieille femme qui veille là, les traits de sa Clara disparue. Maria est là aussi, couchée sur un lit de paille, avec son nouveau-né accroché à ses seins. Tendre spectacle qui, pour une fois, touche en lui le soupçon de tendresse que l’éclat de l’argent et l’appât de la gloire n’ont pas étouffé. Levant la lampe, il découvre, dessinés sur la paroi, un bœuf et un âne qui semblent recueillis et heureux :
– « Maria, ma fille chérie, enfin te voilà ! Et ce garçon que tu as fait, comment vas-tu l’appeler ? »
– « Yechouah, bien sûr ! » répond la jeune femme. « Car son père est juif-arabe ».
L’émotion est palpable, mais Maria poursuit implacable : « J’ai fait cet enfant pour qu’il rachète tous les malheurs que tu as apportés à notre pays et notre planète. Il sera pauvre et sans pouvoir, il sera libre et sans mensonge. Il rétablira les valeurs que tu as bafouées tout au long de ton règne. Il refera un peuple souverain, une démocratie de partage et d’échanges, de paroles et de sentiments où l’argent n’aura plus de place, la domination et la soumission ne seront que des souvenirs lointains. Viens l’embrasser et lui demander pardon ».
Le regard du vieillard se durcit, tandis qu’il tourne les talons sans avoir embrassé le petit.
On put croire qu’il allait ordonner à ses sbires de tenter d’arrêter la révolte qu’il imaginait. Mais non, comme Gaspard, Melchior et Balthasar, il revint pour offrir quelques cadeaux.
Une toute petite flamme d’espoir ne demandait qu’à embraser le pays...
Le Herveu de Conqu’reu