Jean GOTH
Jean GOTH, postier à Châteaubriant, est arrêté le 22 janvier 1944, pour sa participation au réseau Letertre. Il est interné à Angers dans la même cellule que Monsieur PAPIN, entrepreneur à Tours. L’épouse de celui-ci s’occupe du linge des deux prisonniers et transmet à Mademoiselle Suzanne PAVARD les petits papiers qu’elle trouve roulés dans le col des chemises. « Mon pauvre bout de chou, lui écrit Jean GOTH le 17 février 1944, vingt-quatre jours de prison me laissent un moral excellent. Quant à toi, tu dois retenir toutes tes larmes, n’est-ce pas jolie tête blonde ? ».
Jean GOTH, transféré à Compiègne le 24 mars 1944, écrit encore à Suzanne la veille de son départ. « Je pars, mais une grande confiance emplit mon coeur ». Monsieur Papin lui-même dit « qu’ils seront bien mieux qu’à la prison, à travailler, en Allemagne. Ils seront du moins à la campagne ». Il ne reviendra jamais.
Jean GOTH est dirigé vers Mauthausen les 5 ou le 6 avril 1944, « un dur voyage de 3 jours sans boire ni manger, dans des wagons à bestiaux, plombés, par 150 par wagon » ecrit Jean Pierre GASPARRO, un camarade survivant.
« Nous fûmes mis dans des blocs de quarantaine, au bloc 13, pendant 18 jours et le 26 avril nous quittions Mauthausen pour un petit Kommando, Gusen 1. Nous étions destinés pour travailler à l’usine Messerschmitt, usine d’aviation, et c’est ensemble que nous avons commencé à travailler le 2 mai 1944 ».
Mécanicien d’aviation, Jean Pierre GASPARRO initie Jean GOTH à ce travail, « ce qui nous a évité de nombreux coups de schlague. Nous étions exactement 96 sur cette chaîne de Français, et nous sommes revenus à 3, c’est dire la mortalité et les souffrances que nous avons subies ».
« Le premier mois de cette vie s’est passé normalement, nous couchions toujours ensemble au bloc 6, dans le grenier, il faisait très froid, et nous ne possédions qu’une couverture, on se serrait l’un contre l’autre pour avoir un peu plus de chaleur. La nourriture était lamentable, un litre de soupe à l’eau pure avec un peu d’orties et épinards et un petit morceau de pain noir de 300 gr par jour. C’est vous dire ce que nous avons souffert de la faim. En juin-juillet, votre fiancé se portait encore assez bien, nous avions tous maigri mais on tenait le coup. Je savais qu’il avait été malade il y a quelques années, je crois une pleurésie et une forte bronchite. Il s’en ressentait énormément. Car c’est à partir de ce moment-là qu’il commença à tousser. Nous étions très habiles car on prenait une certaine avance qu’on savait fort bien garder et de cette façon éviter les coups mortels »
Mais à partir du débarquement (6 juin 1944), les choses changent. « Ils avaient besoin de chasseurs et il fallait produire en masse, cela nous était impossible. Même mon endurance et ma capacité ne pouvaient en venir à bout. Nous étions dégoûtés, et c’est à partir de ce moment-là que l’on a saboté le travail, mais d’une façon formidable que les contrôleurs allemands ne se sont jamais aperçu. Une fois en vol, les appareils après 4 ou 5 heures de route étaient obligés de capoter » écrit encore Jean Pierre GASPARRO
En septembre 1944 avec l’arrivée des premières vagues de froid, Jean GOTH perd l’appétit, ne pouvant plus rien absorber, bronchite, dysenterie…
C’est alors qu’il entre au Revier (infirmerie) « jamais je n’ai vu un être animé d’un tel courage, une volonté sans borne » dit de lui son ami. « Début octobre, j’ai appris que 500 malades étaient désignés pour passer à la chambre à gaz. Jean GOTH ne tenait plus debout mais par un effort de volonté il dit qu’il était guéri ». « Je le portais au travail, malade comme il était. On l’a roué de coups. Et seulement avec un peu de pain qu’il ne pouvait manger. ». Le 14 décembre 1944, en raison de bombardements américains, le courant électrique est coupé, ce qui met les Déportés au repos forcé et bienvenu, jusqu’au 28 décembre. Jean GOTH va alors un peu mieux.
Nu sous - 36°
Mais dans la nuit du 28 janvier 1945, par un froid intense de 36° sous zéro, « on nous fit mettre tout nus, pour passer à la douche et à la désinfection et de là nous changeons de camp, Gusen 2, cela veut dire Camp de la mort lente » . Sur 10 000 Déportés, il en mourait 400 par jour et ils étaient aussitôt remplacés par d’autres, venus de Haute-Silésie, qui se repliaient devant l’avancée des Russes.
« A longueur de journée, on était battus à coups de nerfs de bœufs et de bâtons, le travail consistait à prendre le train tous les matins à 5 h, et parfois 4h et demi, pour Saint Georges, une grande usine souterraine, qui avait 27 km de galeries, travailler 12 heures par jour avec une forte lumière artificielle, très peu aéré et parfois sans nourriture. Dormir deux ou trois heures au grand maximum par jour, nous avons toujours fait une semaine de jour et une de nuit » (lettre de JP. Gasparro)
A la fin janvier, à la suite d’une visite médicale, Jean GOTH part dans un convoi pour Mauthausen. « En mars on m’apprit sa mort. Je ne pouvais pas le croire. Grâce à une volonté formidable, il avait échappé trois fois à l’élimination méthodique ». Mais cette fois il ne put sans doute pas échapper à la piqûre finale « dans la région du cœur, une ampoule de benzine ou d’essence et 2 à 3 minutes après c’était le chemin du four crématoire ». (lettre de JP. Gasparro)
Ces lettres ont été envoyées à la fiancée de Jean GOTH par JP. Gasparro qui explique : « C’est une grande douleur que je ressens de dire cette affreuse vérité, surtout que je sais que chaque mot cause de profondes peines et amertumes. Nous sommes obligés de cacher en grande partie les détails les plus affreux. On nous prendrait pour fous et personne ne voudrait nous croire. C’est ce qui arrive dans les cas les plus fréquents, on nous traite de déréglés, d’idiots, de menteurs, etc ».
[Collection Suzanne Pavard, documents transmis par Sylvie Etienne-Lepron, sa fille]
Souvenirs de guerre
A Châteaubriant, outre le courrier, le téléphone qui, à l’époque, nécessite un opérateur manuel, doit
aussi être surveillé. « Un jour c’est quelqu’un de Ruffigné qui a téléphoné pour signaler à la Kommandantur qu’il y avait un parachutage. Ce soir-là j’ai dit à mon interlocuteur que la communication ne passait pas, que la Kommandantur ne décrochait pas » dit André Lebastard tandis que son épouse, Denise, raconte : « Les Allemands avaient leur standard à eux, dans le bâtiment de la Poste. Quand ils n’arrivaient pas à obtenir
la communication qu’ils voulaient, quand ils nous demandaient la commune de Riallé au lieu de Riaillé, nous disions : "On ne connaît pas". C’était notre résistance à nous ».
A la Poste de Châteaubriant travaille Jean GOTH membre d’un réseau de Résistants. Il préfére travailler de nuit car, la nuit, il peut appeler plus facilement. Les derniers temps il se sait sous surveillance. Les gendarmes français lui ont appris son arrestation prochaine. « Va-t-en, je prendrai la nuit à ta place » lui dit André Lebastard. Jean Goth a-t-il une mission à accomplir ? Il fait sa nuit au lieu de fuir et est arrêté le lendemain, pour détournement du courrier concernant les jeunes gens de la classe 42 devant partir en Allemagne. Il est mort en Déportation au camp de Gusen le 21 février 1945.