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Fondé au IXe siècle, le Pays de la Mée est une composante de l’ancienne Armorique, cette terre celtique puis gauloise qui, en l’an 56 avant JC, n’est pas encore soumise par les Romains mais, en 51, c’est chose faite.
Comme dans le reste de la Gaule, la conquête romaine amène la colonisation de l’Armorique. Et la langue latine se substitue au vieux parler celte. A l’exception de quelques menhirs, l’implantation celte n’a semble-t-il pas laissé de traces importantes dans notre région. A noter cependant la découverte, au XIXe, de 16 haches en vieux bronze, sous un menhir à Quibut. L’une d’elles est conservée au Musée Dobrée.
La colonisation, sous l’égide de la « paix romaine », se manifeste par l’élan commercial. A l’embouchure de la Loire, une cité appelée Portus Namnetus, devient très vite une ville considérable : Nantes. Pour assurer la sécurité des armées et pour favoriser le développement du commerce, le premier objectif de Rome est la construction d’un important réseau routier : les fameuses voies romaines.
L’occupation romaine dure près de cinq siècles. Un camp romain est signalé par Ogée à Domnesche et à Quibut. Lusanger est alors une Viguerie (administration romaine). Son territoire, longeant la Chère, s’étend au delà de Beslé. Il est desservi par une voie romaine. Autres campements signalés : la Fouaye des Bois, en Derval et Castres, en Pierric.
Les Armoricains donnent beaucoup de fil à retordre aux Occupants. Les Druides, âme de la résistance, sont férocement persécutés par les Romains.
Contraints de célébrer leur culte dans la clandestinité, ils entretiennent une haine farouche de tout ce qui est latin. En 435, les Romains sont définitivement chassés de l’Armorique et les gouverneurs romains sont remplacés par des chefs armoricains . La terre d’Armorique devient terre d’asile des Emigrés bretons, chassés de Grande Bretagne, qui reviennent par vagues successives sur la terre de leurs ancêtres au cours des Ve et VIe siècles. Ainsi, au fil du temps, l’Armorique devient la "petite Bretagne" par opposition à "la grande Bretagne" (l’Angleterre)
Les Francs arrivent ensuite en Armorique. Entre les Bretons et les Francs la lutte dure sept ans, les Bretons repoussant toutes les attaques. C’est seulement en 509 que Clovis, après s’être emparé de Nantes, songe à traiter avec ce peuple invincible. Habile, il se concilie l’Eglise catholique dont la puissance commençait à s’affirmer... Cependant le christianisme n’a toujours pas pénétré la société rurale. Le souvenir de la religion druidique demeure tenace dans l’âme des Celtes. Pour les « convertir » il faudra la présence de moines vivant au milieu d’eux. L’Eglise aura longtemps des soucis avec les traditions celtiques. Devant le peu d’effet de ses anathèmes, il lui faudra recourir à divers procédés afin d’extirper les « séquelles du paganisme ». Concernant les menhirs, le plus simple consistera à les démolir ou à les récupérer (comme au calvaire de Louisfert) ou bien encore à bénir le menhir autour duquel on danse. Ainsi on ne dansera plus devant une idole mais devant un symbole de la foi chrétienne !
Au IXe siècle, les Evêques nantais prennent une part active à la politique religieuse carolingienne. Actard, évêque de Nantes, soutient fidèlement le roi franc Charles le Chauve. Les liens, relativement étroits, tissés entre le Comté nantais et le pouvoir franc, s’expliquent par le rôle privilégié attribué à Nantes dans la politique suivie par Pépin le Bref : Nantes est bien la capitale de la Bretagne.
Dès 847, il apparaît certain que les Bretons, installés dans la presqu’île guérandaise, ne reconnaissent plus l’autorité de l’évêque Actard. Celui-ci est banni et déposé par Nominoë qui nomme un clerc vannetais, Gislard, pour lui succéder. Cependant, sous Erispoë (successeur de Nominoë), Gislard est contraint d’abandonner ce poste qu’il occupait indûment.
En se retirant à Guérande, Gislard abdique mais obtient de conserver la moitié de l’administration du diocèse de Nantes, connu sous le nom de la Mée. Vaste territoire compris entre la Vilaine, le Semnon, l’Erdre et la Loire, ce Pays de la Mée, est appelé aussi « Pays du Sel » d’où viendrait, dit-on, le nom de « saulx-bretons » donné aux habitants de ce pays .
La Mée, territoire breton, a son gouvernement et un sénéchal particulier. En 1205 Geoffroy de Châteaubriant figurera sous le titre de « Sénescallus Médiae ». Au XIVe s, Bonabes de Derval sera nommé Sénéchal du Pays de la Mée et du Redonnais. Guérande en sera la capitale et c’est là que se tiendront les grands procès et que seront signés les traités relatifs à la guerre de succession du Duché breton
La Bataille de Jangland, 851
L’extension du territoire breton se réalise à partir de la bataille de Jangland en Fougeray en 851, opposant Charles le Chauve et le jeune roi breton Erispoë. Celui-ci, fin stratège, attire son ennemi dans le piège qu’il lui a préparé au lieu-dit « La Bataillais »
« Les troupes saxonnes, que le roi Charles avait engagées, sont placées en première ligne. Mais dès la première charge des Bretons et dès leur première volée de javelots, les Saxons vont se cacher derrière les autres troupes. Les Bretons, selon leur habitude et montant des chevaux dressés à ce genre de combat, courent de côté et d’autres. Tantôt ils donnent impéimpétueusement, avec toute leur force, dans la masse serrée des bataillons francs et les criblent de leurs javelots. Tantôt ils font mine de fuir et les ennemis lancés à leur poursuite n’en reçoivent pas moins leurs traits en pleine poitrine. Les Francs, non accoutumés à ce genre de combat, restent frappés d’étonnement devant ce péril qui leur était inconnu ».
Interrompue par la nuit, la bataille reprend le lendemain : un véritable désastre pour les Francs. Ecrasé par une immense terreur, le roi Charles s’enfuit, laissant là son pavillon, sa tente et des ornements royaux. L’armée, prise de panique, ne songe qu’à l’imiter. Les Bretons poursuivent les fuyards, tuant ou faisant prisonniers ceux qu’ils peuvent joindre. La défaite est complète, les Francs laissent sur le champ de bataille, nombre de nobles, comtes, ducs et chefs renommés sans pouvoir ni emporter les corps ni les enterrer. Les Bretons firent creuser des fosses (au lieu-dit Les Fossés en Fougeray) et y placèrent les corps pêle-mêle.
Définitivement vaincu, Charles ne peut que faire la paix avec Erispoë et le reconnaître officiellement à la tête des Bretons, seul maître de la Bretagne et de ses Marches, en lui laissant les comtés de Rennes et de Nantes ainsi que le Pays de Retz et en l’autorisant à porter les insignes royaux. En échange, Erispoë se soumet à Charles le Chauve et, couvert de biens et d’honneurs, rentre en Bretagne. Voulant remercier Dieu de la bonne fortune de ses armes, Erispoë fait don à l’Abbaye de Redon, le 23 août 852, des terres de Mouais et d’Anguignac en Fougeray. (sources : recherches et documents A.Y Schwerer, Fougeray)
Le monastère de Mouais
Au IXe siècle, un autre danger menace la Bretagne : l’invasion des Normands, redoutables pillards venus du Nord, qui s’aventurent à l’intérieur des terres, n’hésitant pas à rançonner les habitants, à incendier les églises et les monastères, à égorger les prêtres…
En 833, Dame Austroberte de Fayen, qui habite la contrée de Derval et y possède un vaste domaine, avait déjà fait don à l’abbé Konwoïon de quelques alleux de terre, sur la rive gauche de la Chère, afin de soutenir la fondation de l’Abbaye de Redon. Aussi, après le passage des Normands sur les terres de son abbaye, l’abbé de Redon se met en quête d’un lieu où il pourrait fonder un monastère susceptible de protéger les siens d’éventuelles autres agressions. Il choisit le lieu appelé Moë (devenu Mouais) sur la rive droite de la Chère, terres données par Erispoë en août 852. Et en 864, le monastère est construit.
La donation d’Austroberte
Ne voulant pas être en reste, Dame Austroberte et son mari font une nouvelle donation. La charte signée à cette occasion montre l’état de psychose régnant alors pour cause de « terreur normande » :
« La fin du monde approchant, les ruines s’amoncellent de toutes parts et déjà se manifestent des signes certains de dissolution » . « C’est pourquoi, moi Austroberte et mon mari Wandefred, considérant la grandeur de nos péchés et nous souvenant de la bonté de Dieu qui a dit : "faites l’aumône et vous serez entièrement purifiés" ; considérant en outre que si nous disposons de quelques biens en faveur des lieux habités par les Saints et pour la subsistance des pauvres, nous ne devons nullement douter que ces sacrifices nous procureront en échange la félicité éternelle »...
« Moi Austroberte et mon mari Wanderfred, appuyés sur cette infinie miséricorde et bonté du Seigneur, par cet acte de donation, nous voulons qu’il soit donné à Saint Sauveur et aux moines qui le servent dans le monastère de Redon et qui y suivent la règle de St Benoît, les alleux que nous possédons dans la paroisse nommée Cornou, sur la rivière de Chère, dans le lieu appelé Botcatman et un autre alleu qui se nomme Fait, près de l’église de Cornou, avec toutes ses dépendances. Nous l’avons transféré intégralement, sans aucune réserve, avec l’agrément et l’autorisation du glorieux prince Salomon, et de Wenbris son épouse, en aumône pour le salut des âmes, avec les terres cultivées et incultes, avec les bois, les prairies, les eaux et les cours d’eau, de manière que les donataires y jouissent, à partir de ce jour, du droit de propriété et qu’ils aient le pouvoir d’y faire en toute liberté, et sans aucun trouble, tout ce que bon leur semblera (…) ». [Il s’agit des terres de Mouais situées sur la rive gauche de La Chère]
Fait dans le monastère de Mouais, le IIII° des calendes d’août 29 juillet 866. (source : Cartulaire de Redon pages 45-46)
A partir de 903, le Cartulaire de Redon est « muet ». Son silence évoque la mort. Que s’est il passé ? Selon certains historiens, les pirates s’étant répandus, comme un torrent, dans tout le pays nantais, on peut supposer qu’ils ont remonté la Vilaine, puis la Chère et atteint Mouais. Les édifices de Mouais et de Cornou, ainsi que des villages dont l’histoire n’a plus retrouvé trace, auraient été victimes de ces forbans venus du Nord.
Un nombre important de Comtes et de nobles, saisis d’horreur, prennent alors le chemin de l’exil à la lueur des incendies qui embrasent les villes et les campagnes. Tandis que les populations rurales, demeurées dans les chaumières, sont livrées sans défense à la tyrannie des Normands.
Pour peindre au vif les suites d’une telle désolation, le cartulaire de Redon emploie cette énergique expression, empreinte d’une mélancolique tristesse : « Britannia destructa est ».
Les moines de l’abbaye de Redon trouvent asile à Plélan. Ils se font défricheurs de l’idolatrie et des halliers. Ils sèment le grain et la vertu dans les âmes purifiées. Aux puissants ils prêchent la douceur et le travail aux paresseux. L’avenir démontrera que les Bretons sont loin d’être des « enfants de choeur ».
Le combat des chefs
Au cours de leur histoire, les Bretons se sont beaucoup battus entre eux : une bataille est restée célèbre, celle de Conquereuil en 992, entre Conan, comte de Rennes et Foulques d’Anjou. Dans les landes de Conquereuil existaient des fossés, sans doute de l’époque romaine. Conan les fit recouvrir de branchages et, au signal donné, prit la fuite devant la cavalerie angevine. Celle-ci tomba dans le piège et reçut une grêle de flèches mais Foulques Néra, bien que renversé lui-même, se releva, furieux, rallia ses gens, enfonça l’armée bretonne. Défaite de Conan qui dut renoncer à gouverner Nantes !
Les comtes bretons et angevins n’en eurent pas pour autant fini avec leurs rivalités. A la fin du XIe sècle les Croisades leur fournirent les moyens de détourner leurs humeurs belliqueuses contre les Sarrazins et les Juifs. Mais lorsque viendra la guerre pour la succession au Duché breton, au XIVe s. les mêmes causes produiront les mêmes effets : le combat des chefs.
Reconstructions
Après le départ des Normands, l’église de St Pierre de Cornou ne fut pas reconstruite. A Mouais, une église fut fondée à la place du monastère. Celle-ci fut donnée par Quiriac, évêque de Nantes, à l’abbaye de Redon en 1062.
Avec le retour des émigrés, vient le temps des reconstructions. A Derval, sur les terres ayant appartenu à Dame Austroberte, ses descendants érigent d’abord une « motte féodale » et adoptent le nom de Derval : du breton derw (chêne) et de val (vallée), Vallée des chênes. Une chapelle dédiée à St Clair est aussi érigée près de la motte féodale.
Au XIIIe siècle, une stratégie de défense et de protection conduit à la construction de châteaux-forts pour se protéger des envahisseurs. Dans cette zone de défense appelée « Marches de Bretagne », figurent les châteaux de Derval, Fougeray, Châteaubriant, Rougé, etc, appelés châteaux philippins. Près de leur château, les sires de Derval fondent également un Prieuré dont la chapelle, dédiée à St Denis, servit d’église paroissiale jusqu’à la fin du XVIe siècle. Les moines de St Nicolas d’Angers étaient les desservants du Prieuré. Les Bénédictins de l’abbaye de St Pierre de Bourgueil leur succédèrent. Pourquoi ce choix, alors que leur aïeule Austroberte avait soutenu la fondation de l’abbaye de Redon ? On peut présumer que celle-ci eut des difficultés à se reconstituer après le passage des Normands et que, comme ceux de Châteaubriant, les moines ont sans doute tissé des liens avec l’Anjou durant leur long exil forcé
En tout cas, lorsque viendra la guerre de succession du Duché breton, ces grands seigneurs, plutôt que de soutenir la cause du breton Jean de Montfort, frère du duc défunt, soutiendront Jeanne de Penthièvre, nièce du défunt duc, épouse de Charles de Blois, duc d’Anjou, neveu du Roi de France.
Julien Bretonnière - Pseudonyme de Auguste Martin
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