Itinérances
« J’étais né pour l’amour,
pour les jardins, les lacs, les pelouses de chair,
et Dieu m’a promené de mansarde en mansarde. »
René Guy Cadou, poète, né le 15 février 1920 à Sainte-Reine-de-Bretagne, appartient à ces figures emblématiques qui marquent l’histoire littéraire de la Loire Inférieure. Il y est profondément ancré à deux titres : il a toujours vécu dans ce département et sa poésie est tout entière imprégnée de ses paysages.
Si les oeuvres de René Guy Cadou et d’Hélène Cadou peuvent être abordées sous bien des angles, tels la mort, la vie, le souvenir, l’amour ou l’amitié... le fil conducteur de l’exposition présentée à Châteaubriant réside dans les lieux de vie, leur influence sur l’écriture des deux poètes et par extension de cette thématique, dans les représentations de la nature.
René Guy Cadou cite volontiers certains lieux, parce qu’ils sont toujours liés à une forte charge émotive. Les titres des poèmes renferment des toponymes, des noms de rues qui sont autant de lieux de rencontres et de voyages, souvent liés à des hommes, des amis, poètes et peintres. Ils peuvent également être liés à des évènements importants de la vie du poète.Le poème, dit René Guy Cadou « je le porte en moi plusieurs jours, il mûrit, puis je l’écris ». Dans sa poésie surgissent, souvent bien longtemps après, les faits et les évènements qui provoquent des souvenirs et des sentiments. La création naît de cette maturation nécessaire.
De Sainte Reine à Louisfert
Sainte Reine de Bretagne, c’est l’enfance de tous les bonheurs dans cette commune rurale de Brière, « une des îles d’eaux et de roseaux dont René Guy Cadou fit son jardin d’Eden » précise Jean Rouaud. C’est un monde peuplé de visages rassurants, les parents, les amis, la famille, un univers de petites gens, le jardinier, le facteur, l’épicier, les couturières, que le poète décrira affectueusement dans « Mon enfance est à tout le monde. »
« Quittant Sainte-Reine
nous rompions définitivement
un pacte avec le bonheur »
Et voici Saint-Nazaire ; la confrontation avec la ville sera durement vécue par le petit garçon de 7 ans. En 1930 son père est nommé à Nantes, dans un quartier populaire. Cadou aimera les lieux marginaux, le pont, la gare de l’Etat, les fêtes foraines et le quartier de Sainte Anne. A 12 ans, René Guy perd sa mère « Anna Cadou, la fée nordique, la douce lumière de la saison de Sainte-Reine ». « je sentais de toutes parts un avenir menacé ». L’enfant se rapproche alors de son père et celui-ci lui montre les poèmes qu’il écrivait à 20 ans. Cadou dit, dans « Mon enfance est à tout le monde » comment il reçut, de la rencontre avec la poésie de son père, la certitude qu’il serait, qu’il était déjà, comme lui, un poète.
Qu’est-ce que j’écris ?
Que signifient ces mots maladroits
Que je dresse comme un rempart
Contre la nuit ?
A 15 ans, René Guy Cadou entre en poésie. Ses rencontres avec Michel Manoll et Julien Lanoë sont décisives. Par leur intermédiaire il entre en contact, souvent épistolaire, avec des poètes ou des personnes directement impliquées dans le milieu littéraire de l’époque. Sa poésie évolue sous les conseils prodigués par Michel Manoll, Max Jacob et plus tard Pierre Reverdy.
A 20 ans, en 1940, son père meurt à son tour. René Guy Cadou trouve le réconfort dont il a tant besoin, auprès de ses amis. Deux des sources de son inspiration sont là : l’isolement, l’amitié.
Un bref temps à l’armée en 1940, puis René Guy Cadou commence ses itinérances d’instituteur remplaçant. Mauves sur Loire (25 jours), Bourgneuf en Retz (3 mois), St-Aubin-des-Châteaux (un pays d’ennui et de forêts), Pompas d’Herbignac, Saint Herblon, Clisson, Basse Goulaine, Le Cellier, Louisfert, où il meurt le 21 mars 1951, à 31 ans.
Je t’atteindrai Hélène
Clisson, c’est la rencontre avec Hélène : « C’est un grand pan de ténèbres qui s’écroule sur ma vie, je vois clair. Et les poèmes de demain seront ce qu’ils n’ont jamais été : je veux parler de la joie » écrit-il à Michel Manoll. Hélène qui fut le sujet, l’inspiratrice de tant de poèmes : « Je te vois mon Hélène au milieu des campagnes, innocentant le crime rose des vergers, ouvrant les hauts battants du monde afin que l’homme atteigne les comptoirs lumineux du soleil ».
Louisfert, c’est le bourg choisi pour son isolement, « un plat pays barricadé d’étranges pommiers à cidre »
L’isolement nécessaire, l’amitié, Hélène, Louisfert ... Tout est là. L’exposition « Itinérances » est à voir dans la Salle des Gardes du Château de Châteaubriant jusqu’au 9 juin 2002. L’exposition est pensée comme un cheminement en images et en mots : photographies des lieux vécus et littérature. Elle est enrichie de contributions d’auteurs, dont deux poètes castelbriantais, Yves Cosson et Guy Bigot.
Rien de figé dans ce parcours, mais des morceaux de poèmes que l’on cueille au passage, de ci, de-là, comme dans un jardin enchanté, où le ciel, la terre, les éléments naturels, la végétation et l’humain se mêlent et s’interpénètrent. L’itinérance mène à la rencontre avec Hélène Cadou, celle qui inventa un langage contre l’oubli, celle qui exprime le doute, la douleur, la sincérité, l’espoir, celle pour qui la poésie est source de sagesse. « Ecrire et dire pour faire vivre »
P.-S.
Documents d’archives originaux, recueils, poèmes et photographies ... Une très belle exposition dans un lieu qui s’y prête admirablement : la salle des Gardes du Château de Châteaubriant , jusqu’au 9 juin 2002.