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La petite fille aux bougies



Un conte de Jacues Leray

Cette année-là, l’hiver promettait d’être plus froid que d’habitude. Le dimanche des Rameaux, le vent déjà était mal tourné et frais. Lors de la récolte et du ramassage des oignons, les paysans avaient observé que sept pelures les recouvraient.

Beaucoup de brouillard enveloppa le mois de décembre, et pendant la semaine qui précéda Noël, il était si épais que même les oiseaux marchaient à pied. La nuit, pas un nuage pour protéger la terre comme le ferait une couette ou un édredon. La lune brillait de tous ses éclats et les étoiles au grand complet scintillaient dans ce froid sidéral et noir.

Puis, au cours de la semaine de la Nativité, la neige fit son apparition. Les flocons tombèrent gros et lourds sur le sol gelé. Pas un ne fondit, et rapidement, tout devint blanc et épais. Plus moyen de distinguer le trottoir de la route, le potager de la pelouse.

La nuit venue, dans la ville aux mille lumières, on avait l’impression que la neige ne tombait qu’au pied des lampadaires et devant les phares de voitures.

Les vitrines illuminaient la rue. Tous les jouets étaient là au grand rendez-vous, bien au chaud, bien rangés. La chaleur de ces feux ne traversait pas la vitre et la neige très piétinée et dure à ces endroits-là rendait le spectacle acrobatique et dangereux.

Marinette

Marinette du haut de ses dix ans s’affairait, se faufilait parmi tous les badauds. Cette veillée de Noël était pour elle importante, car ce soir-là elle vendait plus de bougies et ses clients lui laissaient facilement la pièce. A 90 cents I’unité, tout le monde donnait un euro et n’attendait pas la monnaie. C’est vrai que la petite fille en professionnelle, semblait chercher vainement dans son sac une introuvable pièce de 10 cents.

Elle avait froid et le long manteau qui la recouvrait ne protégeait pas vraiment ses jambes pâles et nues de la morsure sans pitié du gel. Dans ses chaussures humides, ses pieds étaient raides et glacés.

Comme elle traversait la rue pour se diriger vers le magasin du Pâtissier, elle ne vit pas la voiture, énorme et silencieuse, roulant doucement sans doute, qui la renversa

Heureusement que la neige était molle et glissante, car elle chuta sans mal. Seulement quelques bougies brisées, écrasées. Mais quelle peur, quel choc. Pourtant, elle était déjà debout quand la conductrice sortit de son véhicule. On aurait dit un ours, tant sa fourrure l’enveloppait de la tête aux pieds

« Mon Dieu, tu n’as rien ? » dit-elle.

Marinette raide et paralysée ne put répondre

La grande et belle dame se pencha pour ramasser le sac de bougies et tendit sa main longue et gantée à la petite fille

« Viens je te ramène chez toi en voiture ».

La voix douce et claire fit revenir la gamine à la réalité. Elle aussi tendit sa main, nue et glacée.

Elles montèrent dans l’automobile, qui s’avança lentement, sans bruit, suivant la lumière des phares sur la route blanche et glissante

« Comment t’appelles-tu ? » demanda la dame

« Marinette madame »

« Où habites-tu ? » poursuivit la voix douce

« A la Cité Chanteclair, Madame »

C’était assez loin du centre ville et le parcours fut suffisamment long pour que la petite marchande puisse se réchauffer au creux des sièges doux et moelleux

« Je vais me faire gronder, car je n’ai pas vendu toutes mes bougies » dit-elle en pleurs.

« Ne pleure pas, je vais t’acheter toutes celles qui te restent, même les cassées » répondit en riant la femme

Capricorne

Monter quatre étages à pied, ça réchauffe et essouffle

« C’est là » dit Marinette en entrant la première

La maman posa mille questions. D’abord inquiète, elle fut rapidement calme et rassurée. La grande dame ajouta :

« J’organise chez moi un goûter pour l’anniversaire de mon fils qui aura 11 ans le 14 Janvier. C’est un Capricorne ! »

De quel handicap souffre ce garçon ? pensa Marinette, la petite voisine du dessus, en fauteuil roulant, est Bélier avait dit un jour la concierge.
« Je viendrai te chercher le 14, à 15 heures et je te ramènerai le soir à l’heure du dîner, si ta maman est d’accord, bien entendu »

« Mais certainement, avec plaisir et grand merci »

« Au revoir et à bientôt »

Ce jour-là fut très attendu par la petite fille aux bougies ...

A travers les vitres de la cuisine, elle guettait et regardait la pendule. La voiture arriva et se gara sur l’aire de stationnement, exactement à l’heure prévue. Il faisait plus doux, mais très humide. La neige avait pratiquement disparu. La dame semblait plus grande, sans son manteau de fourrure. Elle faisait plus jeune et était plus belle avec ses vêtements clairs.

Pêche à la ligne

Marinette découvrit l’intimité de ce quartier résidentiel qu’elle ne connaissait pas, qu’elle ne soupçonnait même pas. Le pavillon cossu et immense semblait pourtant perdu dans cette verdure de pelouse et d’arbres. « Que cela doit être joli au printemps » pensa-t-elle.

Le grand salon où elle fut introduite grouillait de garçons et de filles de son âge, qui chantaient et criaient. Elle ne connaissait personne, mais elle ne fut ni intimidée, ni impressionnée. N’avait-elle pas l’habitude du public et du contact à cause de la vente de ses bougies, qu’elle pratiquait régulièrement.

L’enfant participa à beaucoup de jeux et d’animations, mais l’attraction la plus appréciée fut celle de la pêche à la ligne, car chacun y trouva une surprise, un cadeau original. Personne ne tricha et tous furent comblés et ravis.

A 16 heures 30, la porte du salon s’ouvrit grande et large. Un énorme paquet franchit le seuil et se posa sur la table, et le papa apparut

« Bon anniversaire Jérôme. Voici ton cadeau »

Le garçon s’approcha surpris et interloqué par le volume du colis. Le ruban, le papier s’enlevèrent prestement. Le silence était total. L’emballage ne résista pas longtemps non plus.

« Oooooh » fit toute l’assistance. Un seul « Oh » mais long et résonnant

Une Mercédès ZX, électrique ! dit le voisin de Marinette qui avait l’air d’un connaisseur et expert. Une seule place, mais suffisamment grande et vaste pour la conduire encore jusqu’à l’âge de 14, 15 ans.

Le papa débarrassa le salon de cet emballage encombrant et désormais inutile. Jérome s’installa au volant, radieux et émerveillé, fit plusieurs fois le tour de la pièce. Tous brûlaient du désir de conduire aussi cette petite merveille, mais chacun fut raisonnable. Ils étaient trop nombreux.

La maîtresse de maison servit la table et convia les enfants à prendre place. Jamais Marinette n’avait vu d’assiettes aussi bien décorées, ni de petites cuillères avec un manche tout sculpté et deux lettres entrelacées, qu’elle ne put déchiffrer. « En quoi sont-elles faites pour briller ainsi » se dit-elle. C’était la première fois que ses mains caressaient un objet en argent

Le gâteau

Perdue dans sa contemplation, elle ne vit pas arriver le gâteau. Une énorme et odorante brioche trônait maintenant sur la table. Tout le monde applaudit et y alla de ses commentaires. Le brouhaha était à son comble.

Les parents de Jérôme prirent place de chaque côté de leur fils, le privant un peu de bavarder avec ses voisins... et voisines. Il était fier et excité. Ce qu’il devait être heureux dans cette maison-là !

Puis un petit monsieur apparut, habillé bizarrement. Ça alors, on dirait un pingouin. Pourtant , Marinette en avait déjà vu toute une colonie au Palace Hôtel dans le centre ville. Sa main droite tenait un énorme couteau qui ne mit pas longtemps à découper la brioche. Toutes les assiettes se tendirent en même temps, chacun eut sa part, copieuse et appétissante.

Le vacarme cessa soudain pour faire place à un bruit cadencé de cuillères et de porcelaine. Marinette était fascinée par ce spectacle. Les verres furent remplis de jus de fruits, frais et sucrés à souhait. La maman de Jérôme donna des ordres au monsieur déguisé et sortit de la salle à manger avec lui. Presqu’aussitôt, la porte claqua d’un bruit sec et bref, laissant apparaître la maîtresse de maison pâle et livide.

La fouille

« Les enfants ! » hurla-t-elle ! S’ensuivit un silence effrayant, tant la voix était forte et coléreuse.

« J’avais laissé, reprit-elle aussitôt, un billet de cent euros sur le guéridon dans l’entrée. Il n’y est plus ! Quelqu’un d’entre vous l’a pris. Ne bougez surtout pas, je vais vous fouiller un par un ! ».Un léger et bref murmure y répondit, la fouille commença dans un silence pesant et angoissant.

Quand vint le tour de Marinette, la dame s’arrêta de stupeur en voyant le visage cramoisi et décomposé de la petite fille, qui rougit et dont le nez piqua dans I’assiette. C’est vrai qu’elle ne s’était jamais senti aussi chaude la pauvre petite, mais c’était la honte qui l’habitait surtout, ce qui n’échappa à personne.

« Ça suffit, je connais maintenant la coupable ! Va-t-en ! Firmin, raccompagnez la demoiselle immédiatement ! » Un faible « Bien Madame » s’ensuivit

Pissouse

Comment Marinette put-elle se lever avec des jambes aussi flageolantes et molles à la fois ? Mystère ! Toutefois le plus dur fut la traversée de la pièce, avec tous ces regards portés sur elle. L’humiliation était à son comble. La petite fille aux bougies ne put se contrôler et fit pipi dans sa culotte. la femme s’en aperçut et dit : « Va donc, pissouse ! »

L’assemblée respira et rompit rapidement le silence. De nouveau, la cacophonie s’installa et remplit la salle. Les gosses attaquèrent la seconde brioche, la maman faisait la navette entre l’office et l’immense table, servant les jus de fruits, vite avalés.

C’est au cours d’un de ces va-et-vient qu’elle lança haut et fort :
« Les enfants... »

Le ton n’était plus le même que tout à l’heure :
« Les enfants, j’ai retrouvé le billet de cent euros... Il était sous la maie dans le vestibule. Un courant d’air sans doute l’aura mis là. Marinette n’est pas une voleuse ! »

« Victor, mon ami », reprit-elle « je prends votre voiture et je file à la Cité Chanteclair pour savoir ce qui s’est passé exactement »

Elle roula vite et se posa beaucoup de questions. Pourquoi Marinette a-t-elle rougi aussi fort, pourquoi avait-elle aussi honte puisqu’elle n’a rien pris ?... L’énigme devait être résolue au plus tôt.

Elle arriva dans la rue au même moment où Firmin en repartait. Ils se croisèrent en silence. La dame monta quatre à quatre les étages et sonna. La porte ne s’ouvrit pas tout de suite et cette attente parut immensément longue à la visiteuse. Elle se retint malgré tout de ne pas sonner une seconde fois. C’est la maman qui entrebailla la porte. La dame bondit dans l’appartement et, apercevant une boule aux cheveux blonds, recroquevillée et secouée de sanglots, au fond d’un canapé miteux, dit. « Marinette tu n’es pas une voleuse, j’ai retrouvé le billet. Il était tombé par terre. Tiens le voilà, je te le donne pour me faire pardonner. Tiens, je le mets là sur la télévision. Mais enfin pourquoi étais-tu si rouge et si honteuse ? »

Oh, il fallut attendre longtemps la réponse. Le temps que la boule se déroule, que le visage apparaisse, que les yeux gonflés de larmes s’ouvrent, que les spasmes disparaissent et que la parole revienne. L’aveu semblait difficile à sortir. « J’avais pris une part de brioche pour ma maman qui n’en a jamais mangé et je l’avais mise dans ma poche »

Et elle sortit le gâteau de sa cachette

Jacques Leray