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Martinique : tradition des "Chanté Nwel"



Ecrit le 24 décembre 2008

En ce mois de frimas, alors que l’hiver frappe à l’huis, il est un pays de soleil où en toutes saisons les fleurs embellissent les jardins , et les fruits s’offrent à la gourmandise des oiseaux. Au pays Martinique, aussi, décembre annonce Noël, sans neige ou nuit profonde.

Temps fort du calendrier romain, chaque région possède ses rituels pour préparer cette fête devenue païenne. Les nostalgiques lui reprochent d’avoir perdu son sens premier de la nativité, ancré dans la religion catholique. C’est à eux que je souhaite conter l’histoire des « chanté Nwel » de nos Antilles.

Car la perte du sens est le sens de ma question. L’évolution d’un rituel nuit-elle à sa signification dans les représentations collectives ? Qu’est-ce qu’une tradition ? Que préserve-t-elle au sein de la communauté qui la perpétue ? Que dit-elle aux hommes de leur histoire ?

« La tradition se définit comme ce qui d’un passé persiste dans le présent où elle est transmise et demeure agissante et acceptée par ceux qui la reçoivent et qui, à leur tour, au fil des générations, la transmettent » (J. POUILLON, 1991). Il en va ainsi des « Chanté Nwel » fortement ancrés dans la tradition des Noëls créoles.

 Dès l’esclavage

Les cantiques seraient apparus en France médiévale, originaires des régions de Lyon. Porteurs d’un message d’amour, de réconciliation, et de pardon, ils invitent au recueillement, à la joie.

Aux Antilles, la tradition des chants de Noël apparaît dès la période esclavagiste. Le code noir (promulgué en 1685) prévoit l’instruction religieuse des esclaves : ils doivent recevoir le baptême. Bien que considérés comme des biens meubles, ce semblant d’accès au royaume de l’humanité vise aussi à faire accepter un sort inhumain en répandant l’espoir d’un paradis dans l’au delà.

Principalement originaires de la côte ouest du continent africain, ces femmes et ces hommes ne sont pas venus de leur plein gré. Quand ils l’ont pu, ils ont opéré des aménagements internes pour tenter de préserver quelques mœurs, coutumes, ou lois de leur tribu d’origine, contre un système esclavagiste qui leur déniait tout sentiment humain et toute dignité.

Conservant en secret leurs croyances et leurs dieux (Père LABAT, 1742), les esclaves adoptent la religion de leurs maîtres dont ils apprécient le repos dominical, occasion de pratiquer la danse et la musique, et d’un peu de répit dans leur cruelle existence. Les Jésuites chargés de l’instruction religieuse, leur apprennent également à jouer de certains instruments de musique, et forment des choristes pour les offices religieux.

C’est ainsi que les cantiques de Noël, catholiques et européens, s’introduisent dans la tradition musicale des noirs créoles. Conservant les textes liturgiques, les musiciens esclaves les revisitent pour imprimer leur style musical (M.-H. JOUBERT, 2005).

 La tradition des Chanté Nwel

Evry

Les chants de Noël sont strictement réservés à la période qui va de l’Avent à la nuit de Noël. Année après année, les fêtes de la Toussaint célébrées, les « Chanté Nwel » s’organisent. Durant l’Avent, voisins, amis et famille se retrouvent chez l’un ou l’autre, munis de victuailles offertes en partage. Au son des tambours, d’instruments de fortune, on entonne les cantiques. Le créole se mêle au français au moment du refrain, qui marque l’instant de défoulement, d’improvisation. C’est fête, on rit, on chante à gorge déployée, on plaisante. L’ordre règne dans ce joyeux désordre. Les musiciens y veillent, et les cantiques sont interprétés selon un certaine suite.

La nuit de Noël, sitôt la messe de minuit, les groupes se déplacent de maison en maison pour fêter la nativité, partager le manger et le boire, sans autre convention que le partage. M. H. JOUBERT (op cité) s’interrogeant sur cette pratique, y voit une anticipation de la fête du roi mage Balthasar.

Trois siècles se sont écoulés, les « Chanté Nwel » appartiennent toujours à la tradition des Noël créoles. D’aucun regrettent le temps ancien où ces manifestations correspondaient vraiment à un temps de partage, d’amour, de réconciliation. Rien de commercial dans l’organisation de la fête, chacun amenait un peu de lui, de son être, et de son avoir.

Certes, aujourd’hui, les « Chanté Nowel » sont des rendez-vous prévus, qui ont souvent un coût. Point d’imprévu, on n’emporte plus son boudin, et son shrubb(1). Le la est donné par un orchestre. Plus de chacha ni de syak (2) parmi l’assemblée.

Pour autant, faut-il renoncer à une tradition au motif de l’évolution de sa pratique ? Porteuse de l’identité de la société qui la possède, elle crée une appartenance à une communauté, dans un être collectif relié aux ancêtres. Les traditions aux Antilles ont cela de particulier qu’elles peuvent être datées (3), alors que dans la plupart des sociétés, origine et signification se perdent dans la nuit des temps. Certains auteurs récusent la dimension ancestrale de pratiques qualifiées de traditionnelles, s’employant à montrer qu’elles sont volatiles, datées, sinon reconstruites.

Toute pratique sociale s’inscrit dans la contemporanéité de la société qui la met en œuvre. Il en va des « Chanté Nwel » comme de la fête du même nom que nos ancêtres célébraient différemment de nous. Ces moments conservent’ me semble-t-il’ l’essentiel de leur fonction, le renforcement du lien social.

Pour cette raison, les jeunes générations ne méritent pas d’être écartées de ces pratiques. Même si à leur tour elles aménagent cette tradition.

Lettre de Martinique

 

Dany Bocquet

 

 

Schoelcher, le 7 décembre 2008

 

Références bibliographiques
- Joubert M ;H, le chanté nwèl, tradition des chants de Noël en Guadeloupe
- Labat (Révérend père), nouveau voyage aux isles d’Amérique, Paris, 1742
- Pouillon J, dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, 1991

Voir aussi : http://evry-daily-photo.blogspot.co...




1 Boisson à base de rhum et d’oranges macérées servie traditionnellement à Noël

2 instruments de musique

3 Le peuplement de la Caraïbe date du 17e siècle lorsque la France se lance dans l’aventure coloniale. Pour exploiter les habitations les maîtres blancs ont besoin de main d’œuvre. Après avoir exterminé les indigènes Caraïbes, ils s’approvisionnent en esclaves à la faveur du commerce triangulaire. Pendant un siècle des bateaux vont quitter les ports du Havre, Nantes, La Rochelle et Bordeaux.