Page précédente : les campagnes
UNE VILLE CLOSE A L’ABRI DU CHATEAU
La ville, en ce temps-là, est spatialement définie : c’est un lieu clos . Les remparts, les portes délimitent une communauté urbaine dotée de structures juridiques particulières. La ville s’appuie contre une butte servant de piédestal au château. Le Centre urbain s’adosse aux basses pentes de la colline. Au delà s’étendent les faubourgs : faubourg de la Barre, Faubourg St Michel, Faubourg de la Torche.
Châteaubriant, est avec Fougères, Vitré et Clisson, l’une des places fortes qui, jusqu’à la fin du Moyen-Age, protégeaient la Bretagne de l’invasion des étrangers. Mais cette fonction historique n’existe plus en 1789.
UN MONDE DE PETITS NOTABLES
Les registres de capitation (impôt direct payé par les habitants) permettent de retrouver les activités de la ville :
En 1789, la ville comporte 5 médecins, 2 apothicaires, 4 maitres d’école mais 14 boulangers et 19 aubergistes ou cabaretiers. Les métiers de l’habillement sont bien représentés : 10 tailleurs d’habits, 3 chapelliers, 9 lingères blanchisseuses, 6 perruquiers et 13 sabotiers ou cordonniers .
Parmi les artisans on compte :
– dans le textile : 40 peigneurs de laine, 3 teinturiers, un filassier et un tisserand
– dans le bâtiment : 11 maçons, 4 menuisiers, 3 serruriers, 5 couvreurs et 3 vitriers-ciriers.
– dans le cuir : 7 tanneurs et un mégissier et 5 selliers
– dans le fer : 2 taillandiers, 2 tourneurs, 2 cloutiers et un ferblantier.
Le métier des armes est bien représenté : 12 personnes (sergents, cavaliers ou maréchaux) en plus d’un armurier et d’un arquebusier .
Les commerçants comptent : 42 marchands et marchandes, 3 marchands en gros, un voiturier et un messager Rennes-Châteaubriant.
Les hommes de loi, notaires, avocats, greffiers, sont au nombre de 26, plus que de boulangers et de bouchers !
Si la ville n’offre pas de métier rare ni de métier de luxe, il y a cependant de quoi satisfaire les besoins du peuple et ceux d’une population plus aisée. Par exemple, la présence d’un confiseur, d’une coiffeuse, de perruquiers, d’un orfèvre et d’une brocheuse de livres , signale une clientèle susceptible de dépasser la satisfaction des besoins élémentaires immédiats.
A côté des métiers connus, on peut signaler la présence de quatre personnes qui ont une capitation élevée : M. JOUSSELIN, président du Conseil du Prince, et trois autres personnes qui sont sans doute des rentiers du sol : Madame DUBREIL DE LA CHATELIERE, Madame HOCHEDÈ DE LA PINSONNAIS et Monsieur LE NORMAND DE LA BAGAIS.
Et à côté de tout ce beau monde, il y a les Castelbriantais ordinaires dont nul registre n’a gardé la trace : le monde des domestiques, le monde des journaliers prêtant leurs bras pour un charroi ou une moisson, le monde des filles-mères rejetées à la rue, le monde des petits métiers, le monde des infirmes et sans doute des mendiants.
UNE VILLE DOMINANT LA CAMPAGNE VOISINE
A Châteaubriant vivent aisément des oisifs. On peut en déduire qu’ils sont rentiers, nobles et bourgeois .
La noblesse est par excellence une classe de rentiers du sol. Selon le rôle de la Cour des Comptes de Bretagne, il n’y aurait que deux nobles résidant à Châteaubriant : DUFRESNE DE VIREL et DUHAMEL DE LA BOTHELIERE.
Mais le maire et les officiers municipaux de Châteaubriant, qui sont chargés de recenser les privilégiés, sur un registre de capitation particulier, établissent une liste plus longue : DU BOIS ADAM, DE MONTANDRI, DU FRESNE DE RENAC (qui possédait le château des Fougerays), DE LA HOUSSAIS, GARDIN DU BOISDULIER , GARDIN DE CLASSE, DUVAL DE LA POTERIE, les Demoiselles DU BOIS PEAN.
Ce sont surtout les nobles à la fortune modeste qui résident à Châteaubriant. La noblesse et la bourgeoisie fortunées préfèrent la grande ville, Nantes ou Rennes, ses promenades, ses cafés, ses théâtres, ses lieux de rencontres et d’échanges.
LES NOBLES FORTUNÉS PRÉFÈRENT RÉSIDER A NANTES OU RENNES
De même, de nombreux propriétaires terriens, nobles ou bourgeois, robins ou marchands, ont préféré la vie de la ville.
Les uns résident à Rennes : les familles COLIN DE LA BRIOCHAIS, président au Parlement de Bretagne — DEFERMON avocat au Parlement, DU HAUT BOIS, GIRARD, DE LA PREVALAIS . D’autres résident à Nantes, CAILLAUD DE BEAUMONT, PETIT DU BOIS SOUCHARD, les demoiselles DE TOUARE , De LA PILORGERIE, etc
Parmi les bourgeois plus modestes de Châteaubriant, nombreux sont les propriétaires terriens. L’étude d’A. GERNOUX nous apprend qu’ERNOUL CHENELIERE a de belles propriétés à Louisfert, que PEURIOT , chirurgien, est propriétaire à St Vincent des Landes, etc.
C’est ainsi un rapport à sens unique qui s’établit entre la ville et la campagne : rapport de domination par la propriété, la détention du capital.
De même, en raison du droit de "Haute et Basse Justice" qu’a le Prince de Condé sur ses terres, en raison des nécessités de la gestion de ses biens, la ville comporte un personnel judiciaire important et de nombreux agents qui , tous, résident en ville. La relation dominant-dominé rejoint ici le rapport ville-campagne.
L’administration de l’Etat est représentée à Châteaubriant par des collecteurs : les employés aux devoirs qui perçoivent les impôts d’Etat.
L’ AFFRONTEMENT entre le château et la ville
Juché sur une petite colline, mais installé dans la vallée marécageuse de La Chère, le Château a une position dominante, orgueilleuse pourrait-on dire, ce que les bourgeois de la ville supportent mal.
Au cours des siècles passés, la bourgeoisie locale s’est opposée à la puissance du Seigneur de Châteaubriant : le Comte de Laval (l’époux de la belle Françoise de Foix, qui füt la maitresse de François 1°°), le maréchal de Montmorency et enfin, depuis 1632, le Prince de Condé et ses successeurs. Mais c’est surtout au 18e siècle que la rivalité s’avive entre la bourgeoisie locale et le pouvoir féodal, même si le Seigneur de
Châteaubriant réside enson château de Chantilly : ses agents sur place sont jaloux de leur autorité.
N’est-ce pas en 1567 que les bourgeois de Châteaubriant, profitant de l’éloignement du Seigneur, se sont déclarés eux-mêmes "communauté urbaine" et se sont dotés d’institutions municipales distinctes des institutions seigneuriales ?
Ils ont fait confirmer leurs droits en 1594 par le Duc de Mercœur.
Mais l’indépendance municipale n’était pas tout-à-fait acquise pour autant : les officiers de la justice seigneuriale conservaient le droit d’assister aux séances du Conseil Municipal et le Corps Municipal n’avait pas de canon, les officiers du Prince les regardant comme propriété seigneuriale.
Les délibérations municipales se déroulaient primitivement au logis du Sénéchal de la Baronnie (officier de la justice seigneuriale) puis dans une salle de la "Porte Neuve" qui servit d’Hôtel de Ville. Mais cette salle servait aussi à l’audition de certains procès et les agents du Prince ne manquaient pas de troubler la tenue des séances municipales par toutes sortes de tracasseries par exemple en fermant la porte à clé. C’est ainsi, qu’à titre de protestation, au cours du 18° siècle, la municipalité dût tenir séance dehors, sur la place de la Motte.
Des démarches furent entreprises par la municipalité pour la construction d’une mairie près de la Poterne, mais en vain et il fallut louer une partie de l’immeuble de François GUERIN, maitre en Chirurgie, dont la maison donnait d’un côté place de l’église et de l’autre place de la Motte avec un jardin mis à disposition des municipaux les jours de réunion. Cette maison servit de mairie jusqu’en 1794 .
L’administration de la ville était source de rivalités entre les officiers de la Baronnie du Prince de Condé, détenteurs du pouvoir judiciaire et Jes officiers municipaux, qui étaient des bourgeois, détenteurs du pouvoir civil.
Les officiers municipaux (qu’on appelait des "échevins") étaient élus "à la pique" : les noms des candidats étaient affichés et les électeurs indiquaient, par une piqüre ou un point, le personnage qu’ils choisissaient librement. Ainsi, en 1776, un certain MAUJOUAN DU GASSET fut élu maire, entouré de 12 échevins : 2 nobles, 2 membres du clergé, 2 avocats, 2 procureurs, 2 marchands et 2 autres habitants.
Les officiers municipaux étaient souvent en butte aux vexations et aux humiliations des officiers du Prince et ces difficultés provoquaient, chez les bourgeois, et même dans le peuple, l’attente d’une évolution. Dans la ville, des rivalités existaient, par ricochet, entre les bourgeois. D’un côté, ceux qui se trouvaient dans la mouvance du Prince de Condé, de ses officiers et de la noblesse locale. De l’autre côté, des familles, non moins bourgeoises, qui revendiquaient leur indépendance, leur solidarité de groupe opposé au précédent.
Dès 1789, ces clivages vont s’exprimer en termes politiques et trouver une nouvelle dynamique dans la révolution. L’étude d’Alfred GERNOUX "La révolution au Pays de Châteaubriant" publiée en 1936) ressuscite ces familles, retraçant les liens affectifs et matrimoniaux qui les unissent .
Il écrit : "l’élite de la ville se groupe autour du ménage REGNIER. Il y eut des diners, des causeries philosophiques, des séances de musique que nous aimerions ressusciter. " Jean Baptiste REGNIER, un de ces bourgeois actifs et intelligents qui ont fait la Révolution, était contrôleur des deniers à Châteaubriant. Il avait épousé en 1787 la fille d’un notaire, DELOURMEL DE LA PICAUDIERE, une de ces familles de la
bourgeoisie, adepte des Lumières comme les familles ERNOUL de la CHENELIERE, MARGAT, propriétaire d’une tannerie, LESAGE, juge au Tribunal, MEAULLE et PEURIOT .
Des liens matrimoniaux existaient aussi entre les familles DEFERMON DES CHAPELIERES, avocat au Parlement de Bretagne, Bernard DE LA TERTRAIS, greffier de la Baronnie, JOUSSELIN, président du Conseil de M. le Prince de Condé. Des liens d’amitié unissent ces familles aux familles COLIN DE LA BIOCHAIS, président du Parlement de Bretagne, propriétaire de fief à St Aubin, SAGET DE COESMES, directeur des Forges du Prince de Condé, LOUARD, président des traites, maire de Châteaubriant, VISSAULT DES PANTIERES, avocat au Parlement, receveur des Droits du Roi à Châteaubriant.
Photo : Au fond, barrant la rue, la PORTE NEUVE où les officiers du Baron de Chéteaubriant réglementaient les droits seigneuriaux et rendaient la justice. La tour attenante servait de prison.
UN MONDE AGITÉ ET QUI REVENDIQUE
La rédaction des cahiers de doléances fait partie du rituel de la convocation des Etats Généraux. Les cahiers des paroisses du district de Châteaubriant retentissent de l’exaspération des habitants qui dénoncent de façon unanime les injustices dont est victime le Tiers-Etat, et le poids seigneurial surtout ressenti dans les paroisses rurales.
Cependant, dans la rédaction de ces cahiers, tous les Français n’ont pas eu la parole. Les signataires ne sont que 20 sur les 1265 habitants d’Issé , que 22 sur 1896 à Moisdon, que 23 sur 1764 à Derval, etc . Seuls les membres influents de la communauté villageoise ont pu s’exprimer, avec le risque d’étouffer l’expression des plus pauvres. Le cahier est censé exprimer les doléances de la paroisse mais il est rédigé par ceux qui savent écrire : les autres n’ont aucun moyen de contrôle, à supposer qu’ils en aient envie.
C’est la partie alphabétisée de la population qui est la plus influente , allant même jusqu’à mépriser les autres habitants. Les rédacteurs du Cahier de Moisdon, et ceux de St Aubin des Châteaux, se présentent comme "formant la plus saine partie des habitants de la paroisse" ...
Les cahiers critiquent le système féodal, le prélèvement seigneurial, l’injustice fiscale, les privilèges, la milice, la partialité de la justice, etc. Quelques-uns révèlent une opposition à la ville (St Aubin des Châteaux) mais presque tous adhèrent aux doléances de Rennes ou de Nantes.
Les Cahiers de Doléances, ant-féodaux, anti-Seigneuriaux, ne révèlent pas une idéologie révolutionnaire laissant présager un bouleversement de l’Etat. la sagesse et la bienveillance du roi sont généralement honorées. Soudan se déclare attaché aux privilèges de la Bretagne . Erbray désirerait une extension de la noblesse “accordée au seul mérite et qui ne soit plus héréditaire". Certains Cahiers font preuve de modération et de compréhension à l’égard des privilégiés ... peut-être parce que les rédacteurs des Cahiers se sentent eux-mêmes privilégiés . On retrouve la notion de hiérarchie à l’intérieur du Tiers Etat : une partie étant plus saine et plus honorable que l’autre.
Certains cahiers font des propositions : sur le mode de calcul et de perception des impôts (à Issé), sur la création de prud’hommes pour régler les conflits, sur les nécessités de l’enseignement.
Mais les plaintes et les vœux expriment une perception plus affective que politique de la société et de ses rapports. Il s’agit bien de doléances et non pas de la défense d’une idéologie cohérente .
DES TIERS ... INÉGAUX
Tiers-Etat ... 97,8 % de la population
Noblesse .... 1,5 % de la population
Clergé ......... 0,7 % de la population
On comprend que le Tiers-Etat ait demandé à avoir autant de Députés que les deux autres Ordres réunis.
UNE BARONNIE ÉCARTELÉE
Depuis le Moyen-Age, la Baronnie de Châteaubriant est écartelée entre Nantes et Rennes.
- 1) en matière religieuse, les paroisses relèvent toutes du Diocèse de Nantes
- 2) en matière judiciaire, une partie des communes relève du Sénéchal de Rennes : Châteaubriant, Fercé, Rougé, Noyal, Ruffigné, Villepôt, Soulvache, Erbray, Juigné, Sion et Soudan . Les autres relèvent du Sénéchal de Nantes.
- 3) en matière politique, Châteaubriant fait partie de la Bretagne et a des représentants au Parlement de cette région .
Page suivante : un pays en proie au malaise
4) La Révolution a commencé en Bretagne
5) Les événements à Châteaubriant
6) La nouvelle administration
7) Quelques personnages de la Révolution
8) Réflexions sur la Révolution