En ce début d’avril 1793, sept ou huit paroisses s’inclinent, fournissent leur contingent. Serait-ce la fin de la rébellion ? C’est le début d’une longue guerre civile .
Beaucoup de jeunes gens acceptent leur enrôlement militaire mais, au lieu de rejoindre le chef-lieu et, de là, leur contingent, ils se retrouvent dans les landes, les bois , les forêts qu’ils connaissent bien, rebelles à la République.
Les événements de mars 93 ont provoqué un choc dans les consciences : d’une part la République a fait la démonstration de sa force répressive, d’autre part les mécontents ont découvert leur nombre, leur puissance et leur dynamisme. Les rebelles savent qu’au son du tocsin, résonnant de paroisse en paroisse, 4000, 5000 hommes peuvent surgir des fermes, des métairies, des masures ,
“Les citoyens DAVY et MASSERON nous informent que se réunissent des personnes dangereuses, nobles, prêtres réfractaires, même des femmes, au château de la Musse en Jans" (observation du Directoire le 9 juin 1793)
La Révolution a lésé des intérêts particuliers, frustré des aspirations, déçu des espoirs, produit beaucoup de mécontents qui se regroupent en ce printemps de 1793 bien qu’ils aient eu souvent des intérêts divergents. Mais le manque d’expérience et de maturité politiques favorise, à toute époque, ces convergences ambiguës.
Un mouvement puissant et complexe s’organise : certains chefs ont été arrêtés, d’autres se révèlent, des personnalités ambitieuses, avides de gloire ou seulement passionnées, se placent à la tête du mouvement. À ce point du récit, on ne peut s’empêcher d’évoquer la personnalité du "Charette local" : Fresnay de Beaumont, juge de paix de St Julien de Vouvantes. il rassemble, il organise, il exhorte, il devient un chef. il prend contact avec l’état-major de "l’armée catholique et royale", s’intègre dans le Comité Supérieur de cette armée "de la Vendée", la suit jusqu’à Grandville et Le Mans. Lors de la déroute en décembre 1793, il se réfugie dans la région de Châteaubriant et retrouve la tête de la Chouannerie locale jusqu’à son arrestation en janvier 1794 suivie de son procès à Rennes et de son exécution en février 94 place de la Motte à Châteaubriant .
En cette occasion on fit venir la guillotine de Rennes jusqu’à Châteaubriant pour impressionner la population.
Fresnay de Beaumont n’est pas le seul membre influent de lachouannerie locale, on y rencontre de nombreux représentants de la bourgeoisie rurale, anciens hommes de loi de l’Ancien Régime, ceux-là même qui avaient rédigé les cahiers dedoléances en 1789, comme Victor Lemaitre ancien notaire de Moisdon, Hogrel ancien collecteur d’impôts du Grand Auverné, des prêtres réfractaires, des parents ou partisans de nobles émigrés. Les habitants des campagnes, fermiers, métayers, bücherons, peigneurs, sergiers, etc, forment la masse, le fonds de la chouannerie. Ces éléments disparates se trouvent unis par la lutte qu’ils mènent ensemble, l’exaltation, l’idéalisation de leur combat. La cause qu’ils défendent devient mythe, ils deviennent des héros.
Mais si la chouannerie est issue de la campagne, n’oublions pas qu’elle bénéficie de sûrs appuis à l’intérieur de Châteaubriant.
ZONE DE CONTACT ENTRE CHOUANS ET VENDÉENS
18 octobre : lettre de Méaulle, député de Châteaubriant, élu par le Département à la Convention, un.de ceux qui ont voté la mort du roi Louis XVI : “tenez-vous sur vos gardes, les brigands ont fait une trouée à Varades mais ils sont en déroute, ils vont se répandre dans la Bretagne, gardez vos routes"
En novembre, l’administration doit quitter la ville, se réfugier à Rennes pour quelques jours. À chaque fois que l’armée vendéenne était annoncée, Châteaubriant , loin de disposer d’une importante force armée permanente, craignait de tomber en son pouvoir .
Si l’armée vendéenne est écrasée par l’armée républicaine à Savenay, la chouannerie, elle, n’en est pas affectée. Malgré les proclamations de certains Conventionnels, la victoire républicaine n’est pas absolue. Subsiste cette guerre souterraine, cette guérilla populaire qui gonfle ses effectifs, redouble d’action et d’audace .
La révoite vendéenne, dirigée par des chefs nobles, engendre une armée contre-révolutionnaire qui tente de prendre un port afin de bénéficier du renfort des Anglais et des nobles émigrés : cet objectif la conduit à quitter la Vendée. Au nord de la Loire, elle sait qu’elle peut compter sur l’appui de la Chouannerie.
Les deux mouvements ne sont pas aussi nettement séparés qu’on le dit généralement. Entre Loire et Vilaine, ils s’interpénètrent. Le district de Châteaubriant fait partie de cette zone de contact. Des rebelles de notre région suivent l’armée “des brigands de la Vendée", mais aussi des Vendéens restent dans les pays traversés par leur armée. Les Chouans participent aux côtés des Vendéens, à l’attaque de certaines villes comme Ancenis ou Nantes. Ils leur fournissent une aide précieuse en coupant les communications, paralysant la riposte des Républicains ; ils leur favorisent l’accueil bienveillant des paysans.
On ne peut s’étendre ici sur “l’épopée vendéenne" , mais, puisqu’elle se répercute sur la situation politique et militaire de notre district, citons quand même quelques faits : prise puis perte de Saumur et d’Angers ; échec du siège de Nantes ; passage de la Loire ; marche sur Grandville en passant par Le Petit Auverné, la Chapelle Glain, St Julien de Vouvantes, Juigné, Soudan, Pouancé, Laval ; après un cuisant échec à Grandville, reflux, retour vers la Loire, massacre au Mans en décembre 1793 et déroute à Savenay le 23 décembre 1793. Le district de Châteaubriant a vécu cette fin d’année 93 au rythme des poussées et des reculs vendéens :
13 juin 1793 :"Les révoltés se sont emparés d’Ancenis, il faut veiller à la sûreté publique, les corps constitués resteront convoqués en permanence, un comité de surveillance sera formé...", des mesures de sécurité sont prises pour contrôler les entrées et sorties de la ville, en assurer l’approvisionnement en grains, des chevaux sont réquisitionnés, des échelles sont réquisitionnées aussi et rangées (et même enchainées) dans la halle pour éviter que des rebelles ne s’introduisent subrepticement en ville ; les citoyens doivent laisser libre le passage de leur jardin et de leur maison pour que les gardes nationaux puissent se précipiter sur les rempart à toute heure du jour et de la nuit...
15 juin : “Etant donné les nouvelles alarmantes, les registres et la caisse du district seront transférés en lieu sûr à Rennes. Châteaubriant est un point stratégique à défendre"
Le 29 juin, lors du siège de Nantes par les Vendéens, une assemblée à Châteaubriant est manipulée par des contre-révolutionnaires notoires qui forcent, sous la menace des armes, des républicains sincères à refuser un secours à Nantes.
LA CHOUANNERIE, DE 1794 à 1800
Il est exclu d’analyser par le menu détail les actes des Chouans dans le district entre 1794 et 1800. On se limitera . ici à l’évocation de leurs types d’intervention et de leurs méthodes.
D’abord ils se sont regroupés en bandes et se sont donnés des chefs. On ne connait pas très précisément les structures d’organisation (au demeurant fort souples) mais se distinguent des chefs de village et un chef jouant le rôle de coordonnateur et de rassemblieur.
Après l’exécution de Fresnay de Beaumont, c’est TERRIEN dit "Cœur de Lion" qui joue ce rôle. À côté de lui d’autres chefs aux noms aussi suggestifs que LETORT dit "Le tigre", LEMAITRE dit "léopard", HOGREL dit "Rossignol", PACORY dit “Cœur de Roi", et aussi "Brise-galette”, "Cul cassé" etc.
Dans les années 1794-95, ce sont eux les véritables maitres de la Région. Dans la plupart des communes ils sont chez eux, leur audace est à la mesure de leur sentiment de puissance, ils n’hésitent pas à attaquer des détachements de 100 ou 200 républicains jusqu’aux portes de la ville de Châteaubriant . Par exemple, faisant croire à une attaque, provoquant la panique en ville alors que "mystérieusement" les canons ont été préalablement encloués ...
La correspondance du Directoire de Châteaubriant témoigne de cette terreur quotidienne :
9 avril 1794 : Une troupe de scélérats répand la terreur dans les campagnes, ils se tiennent-couchés le jour dans les forêts, se portent la nuit chez les patriotes qu’ils assassinent impunément. Les municipalités et comités de surveillance restent dans une inertie inconcevable. Les habitants des campagnes, presque tous fanatisés, gardent le silence le plus coupable sur ces assassinats. Une grande partie les favorise en les réfugiant et leur donnant des subsistances. ll est impossible d’avoir des renseignements sur leurs marches et leurs retraites".
15 avrii 1794 : "ces scélérats massacrent en plein jour des patriotes connus. Hier le citoyen ROCHER directeur des Forges de Moisdon et 5 autres patriotes ont été tués par une douzaine de coquins vers 10 heures du matin. Cette nuit le citoyen BOURGINE, maire de Juigné, a été assassiné chez lui. Quand la force armée parait, ces scélérats disparaissent. On ne peut en découvrir les traces car les habitants des campagnes sem-
blent les protéger".
24 juillet 1794 : " une horde de brigands répand la terreur, plus de 200 patriotes ont été victimes de leur fureur depuis 3 à 4 mois, avant peu il n’existera plus de patriotes dans le district". En effet, en 6 mois, c’est quelque 400 assassinats qu’il faut porter au compte des chouans.
Châteaubriant ne dispose pas de forces armées suffisantes pour pourchasser ces "brigands" qui sont insaisissables. C’est vraiment une guerre de guérilla et le Directoire du District veut éviter aussi que les armées ne se livrent à une "politique de là terre brülée" comme ce fut le cas en Vendée. Les abus,
violences, viols, pillages des soldats républicains pas toujours bien disciplinés suffisent.
Si l’on en croit la rumeur publique, les généraux Muscar et Hugo, fort appréciés dans les salons de la bonne société républicaine castelbriantaise, ont le mérite de faire régner une certaine discipline dans leurs troupes. Ce n’est pas le cas de tous les soldats : les généraux Marceau et Kléber qui séjournent aussi à Châteaubriant , n’ont peut-être pas le même succès dans ce domaine. le Directoire se plaint lui-même des
abus des soldats .
400 ASSASSINATS EN 6 MOIS
Rien n’empêche la chouannerie de se renforcer sans cesse au cours de ces deux années, puisant de nouvelles recrues chez les jeunes gens du pays réquisitionnés pour l’armée, mais aussi débauchant des soldats des cantonnements, accueillant des déserteurs de l’armée .
Cette guerre prend des formes multiples : " Les chouans assassinent systématiquement tous les patriotes connus dans les campagnes ; ils assassinent ceux qui risqueraient d’assurer le fonctionnement de l’Etat : les maires, les officiers municipaux, les juges, tout fonctionnaire qui tombe entre leurs mains, ils n’hésitent pas à rechercher les fonctionnaires réfugiés à Châteaubriant : par exemple, le maire d’Issé et sa femme sont massacrés dans cette ville, faubourg de la Barre. Les maisons des patriotes, les mairies, sont pillées, les registres, les papiers, brûlés .
* Le deuxième objectif, c’est l’activité industrielle de la région, remarquable par ses forges de la Hunaudière en Sion les Mines ou de la Forge Neuve à Moisdon, ou de Gravotel à Moisdon également, et par sa verrerie de Javardan à Fercé. Le directeur de Javardan, celui de la Forge Neuve sont assassinés. Des assassinats quotidiens à Moisdon en 1795 visent à la paralysie des forges, pièce importante de l’économie de guerre de la République, puisqu’elles fournissent les fers mais aussi la fonte des boulets et des canons.
En janvier 1795, les forges sont arrêtées, faute de bois et de charbon : les chouans ont empêché les bûücherons et les charbonniers, ouvriers de la forêt, de faire leur travail.
AFFAMER CHATEAUBRIANT
Reste à isoler et affamer la ville de Châteaubriant. Pour cela deux techniques . D’une part les chouans, avec la bénédiction des paysans, empêchent toute réquisition de grains dans les campagnes. Ils assassinent en plein bourg de Soudan un commissaire chargé d’une réquisition ; ils démontent les charrettes et en emportent les essieux. Le directoire avoue en 1795 : "il ne reste pas trois charrettes dans tout le district"
D’autre part, ils attaquent et pillent les convois de grains se dirigeant vers la ville ; la supériorité numérique les assure du succès à tous les coups.
En 1795, l’impossibilité d’un approvisionnement, ajouté à la hausse des prix, provoque une disette en ville. L’administration, impuissante dans cette guerre, en est réduite à des appels au secours : ce sont les chouans qui détiennent l’arme du blé. C’est eux qui disposent des forces armées permanentes... Ils sont véritablement maitres du pays.
D’autres moments de l’histoire ont montré l’impuissance des armées traditionnelles sur la guérilla populaire. En 1795 la République, qui a évolué vers la modération d’une république bourgeoise depuis la chûte des Roberspierristes, préfère négocier la paix avec les rebelles de l’Ouest. Après des entrevues secrètes, des traités de paix sont signés, volonté de conciliation et d’apaisement dont témoignent l’amnistie accor-
dée aux chouans et le retour des prêtres réfractaires* ainsi que le respect des anciennes pratiques de l’église .
L’administration attend beaucoup du retour des prêtres. Elle connait leur influence sur les populations. Elle écrit, le 24 mars 1795 : "Pour rétablir la paix, qu’on emploie l’intermédiaire des prêtres entre nous, les habitants des campagnes et les chouans. On dira que Dieu défend le meurtre et le pillage et ils cesseront". Qu’il est loin le temps où l’on fermait les églises, où l’on demandait aux prêtres de renoncer à leur prêtrise, de préférer la Raison à l’obscurantisme !
LES CHOUANS, BRIGANDS SANS FOI NI LOI
Mais la bonne volonté de la République n’obtient pas les résultats espérés : les chouans ne posent les armes que le temps de reconstituer leurs forces. Les traités à peine signés (février-avril 1795), la paix est violée aussi bien au Nord qu’au Sud de la Loire. À Châteaubriant , le 5 mai 1795, "on pensait que le calme allait revenir mais tous les chouans ne désirent pas la paix et la tranquillité. Il y en a toujours qui s’assemblent et parcourent la campagne, font tous leurs efforts pour se procurer des munitions et recruter des hommes. Il y a trois jours, 500 à 600 étaient assemblés au Grand Auverné"
Cependant, progressivement, au cours des années 1797-98, les habitants des campagnes se lassent des violences. Les chouans deviennent des bandes marginales, le soutien de la population n’est plus aussi spontané qu’en 1794, certains chouans se rallient à la République et lui servent d’indicateurs. Des
rivalités entre chefs se font jour. En 1799, SAVARY, dit “Grand Louis", capitaine des chouans de la forêt de Juigné, lui-même originaire de Normandie, est assassiné par deux de ses compagnons. "Des espions persuadèrent quatre de ses brigands que ceux qui le tueraient auraient la grâce. Sinon les bons prêtres* seraient arrêtés"
Le mouvement chouan, après 6 années de guerre, connait le reflux. Son assise populaire s’effrite sous les effets de la pacification, de la lassitude et subit une offensive armée républicaine : celie des colonnes mobiles. Ce sont des colonnes armées de 300 ou 400 gardes nationaux, patriotes, anciens chouans parfois, qui fouillent minutieusement les forêts où se cachent les chouans, et les exécutent. Le déclin de la chouannerie est alors irrémédiable. L’insubordination à la République puis au Consulat n’est que le fait de quelques fanatiques, de
quelques passionnés. Ce n’est plus l’élan d’un peuple.
Maryvonne BOMPOL
*) on appelait ainsi les prêtres ayant refusé de prêter serment de fidélité à la Nation, donc qui refusaient ia “Constitution civile du Clergé" votée le 12 juillet 1790 par l’Assemblée Constituante et par laquelle les prêtres devenaient des fonctionnaires de l’Etat.
Sur cette période on lira aussi avec intérêt les ouvrages suivants :
LES BRIGANDS DU ROI (par A. Racineux) édité en 1985 et LES CHAPELLIERES par Pierre Péan) édité en 1987